Débat militant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°43
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4
mars 2004
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Sommaire : | ||||||||||
L'ex- gauche plurielle rêve d'étouffer la perspective nouvelle ouverte par les listes LCR-LO | ||||||||||
La laïcité, ses origines révolutionnaires, ses limites et le mouvement ouvrier | ||||||||||
Notes de lecture : Métaleurop, Paroles ouvrières de Frédéric H. Fajardie | ||||||||||
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Une campagne officielle en creux, une campagne pour les luttes dynamique qui a ses propres perspectives
La campagne des
élections régionales piétine. Les partis gouvernementaux
ont bien du mal à convaincre les électeurs que ces élections
auraient d'autres enjeux que le partage des sinécures. Ils craignent
le mécontentement qui touche toutes les couches de la population et les
résultats d'une campagne qui va solder les comptes des années
de cohabitation avant que les uns et les autres ne les règlent. Ils s'y
préparent mais, prudents, préfèrent attendre de savoir
ce qui sortira des urnes
D'où cette campagne en creux qui se déroule
dans l'indifférence et laisse le terrain libre à un Bayrou empressé
d'occuper le devant de la scène !
La petite comédie qui s'est jouée autour de l'inéligibilité
de Le Pen est bien significative de ce climat de dérobade. Ruse de celui
qui savait qu'il allait à une défaite que le candidat de circonstance
du deuxième tour de la Présidentielle ne pouvait supporter ou
aveuglement stupide d'un petit chef gonflé de suffisance ou une combinaison
des deux ?
Qu'importe, Le Pen, l'enfant monstrueux de la cohabitation
droite-gauche, marque le pas, au moment où on solde les comptes. Tant
mieux, mais si Le Pen est en difficulté, victime d'un succès de
circonstances, baudruche gonflée par les capitulations de ceux qui disent
le combattre, les idées qu'il a semées et qui ont germé
sur le fumier de l'offensive libérale et réactionnaire sont, elles,
malheureusement bien vivaces.
Dans ce contexte, notre campagne prend toute son importance.
Bien qu'engoncée dans le cadre d'un simple accord électoral, elle
rencontre un écho bien réel et de multiples sympathies. La presse
a saisi l'importance de ce qui se passait même si elle en rend souvent
compte de façon déformée voire caricaturale.
Les éternels cassandre et les sceptiques en sont pour leur frais, comme
les sectaires.
L'unité nous donne une crédibilité. Nos axes de campagne
s'inscrivent dans un contexte social et politique qui ouvre les yeux de milliers
de travailleuses et travailleurs.
Quels que soient les résultats électoraux, nous sommes en train
de franchir une étape qui pose les problèmes de l'extrême
gauche dans des termes entièrement nouveaux.
Cette situation inédite place les révolutionnaires devant un véritable
défi : apprendre pour formuler les réponses à une situation
entièrement nouvelle. L'extrême gauche connaît une mue pour
se transformer en un véritable mouvement de masse. Il s'agit de liquider
la période du gauchisme, les habitudes de pensée d'opposants,
pour prendre toute notre place dans le renouveau du mouvement ouvrier. Personne
n'échappe aux exigences nouvelles, tout est à faire, à
repenser collectivement.
Et un des effets les plus positifs de l'unité est qu'elle vient déstabiliser
les certitudes toutes faites, les préjugés sectaires pour susciter
confrontations et débats.
Eléments
de crise sociale et politique
L'affaire Juppé est venue souligner la crise que traverse la droite engluée
dans les suites de la cohabitation alors que bien de ses leaders veulent liquider
cette période pour retrouver toute leur marge de manuvre et regagner
une partie de leur électorat qui s'est porté sur l'extrême
droite. D'autres entendent jouer la partie au centre et flirtent avec la droite
d'un PS dominé par ses adversaires et incapable de formuler une politique
d'opposition un tant soit peu cohérente. Le PS n'arrive pas à
se dépêtrer du piège du 5 mai, aboutissement d'années
de cohabitation et de leur soumission au dogme libéral. Le vote sur la
loi sur l'interdiction du voile à l'école a été
l'occasion d'un remake du front républicain, nouvelle illustration de
l'impuissance de la prétendue opposition parlementaire. Quant au PC,
incapable de choisir une politique, il tente vainement et sans convaincre de
raviver de vieilles ardeurs réformistes avant de finir dans les bras
du PS.
Sur le terrain de l'opposition syndicale, la même logique a les mêmes
effets. La soumission des grandes confédérations à la logique
libérale les paralyse au point de les laisser sans voix devant les attaques
redoublées du patronat et du gouvernement.
Dominés politiquement, les uns et les autres s'intègrent à
la politique de ceux qu'ils prétendent combattre.
Même sur leur propre terrain, celui de l'opposition parlementaire ou de
l'opposition syndicale, ils sont tétanisés.
A l'opposé, le mécontentement grandit, gagne toutes les couches
de la population.
Derrière le masque républicain se dessinent les traits d'un pouvoir
autocratique, vieillissant, prisonnier de ses propres craintes et préoccupations,
contesté ouvertement dans ses propres rangs. Cette crise politique latente
survient au moment même où la bourgeoisie aurait besoin d'un pouvoir
fort pour mener à bien les réformes libérales.
Les élections pourraient bien être l'occasion que se révèlent
la faiblesse du pouvoir, ses divisions malgré cette absence d'opposition
des vieux partis.
Une montée
sociale dont personne ne connaît les rythmes et les étapes
Le discrédit croissant des classes dirigeantes, aussi avides de profits
que son personnel politique est riche d'ambition, combiné au mécontentement
de " ceux d'en bas " qui n'acceptent plus les sacrifices
qu'on leur impose pour alimenter les spéculations boursières affaiblit
le pouvoir de ceux d'en haut. La nécessité d'une lutte d'ensemble
fait son chemin d'autant que la faiblesse du pouvoir apparaît. La confiance
commence à reprendre le dessus, les causes de l'échec du printemps
dernier se discutent y compris parmi les militants de la CGT.
Face aux nouvelles attaques, malgré le silence complice des grandes confédérations
voire leur approbation comme sur le " diagnostic partagé "
concernant l'assurance-maladie, le mouvement social commence à surmonter
le poids de l'échec du printemps, des possibilités nouvelles apparaissent,
la confiance renaît, riche de l'expérience passée.
Affermir cette confiance, c'est construire une nouvelle conscience, celle de
la nécessité de la prise en main des luttes par les travailleurs
eux-mêmes à travers des structures démocratiques où
puissent se retrouver syndicats, associations, partis politiques, militants
et travailleurs engagés dans le même combat.
Il s'agit de faire vivre les acquis du mouvement du printemps pour vaincre les
divisions et les cloisonnements bureaucratiques et développer la force
dynamique de la démocratie au sein du monde du travail et des luttes.
Une montée sociale se prépare, elle saisit toutes les occasions
qui s'offrent, s'appuie sur toutes les initiatives, discute de ses objectifs,
mobilise les travailleurs par delà les appareils eux-mêmes, s'émancipe
à chaque pas un peu plus radicalement des illusions passées, gagne
en conviction et profondeur.
Dans les syndicats,
les collectifs ou sur le terrain politique, faire vivre les idées de
la lutte de classe
La campagne électorale reçoit un profond mépris de la grande
majorité de la population parce que cette dernière n'est plus
dupe, elle n'attend rien, à juste titre, de ces élections. Ce
rejet est le point de départ d'une nouvelle conscience pleinement émancipée
des illusions tant sur le système capitaliste que sur ses défenseurs
de droite ou de gauche. Cette nouvelle conscience naît à travers
les luttes et expériences quotidiennes que font les travailleurs, à
travers les débats dont elles sont l'occasion, les discussions.
Notre campagne est au cur de ces luttes, de ces expériences, sur
les lieux de travail et les quartiers. Elle vise à donner confiance,
à expliquer, convaincre, encourager la discussion, la prise de parole
comme la prise de responsabilités.
C'est à travers ces multiples processus que commence à se réorganiser
le mouvement ouvrier en rupture avec l'ordre établi, qu'il se réapproprie
les idées de la lutte de classe. Les révolutionnaires apprennent
de ces évolutions comme ils essaient de les enrichir de leur propre expérience
politique ainsi que de l'expérience générale et historique
du mouvement ouvrier.
Dans les entreprises et les quartiers, à travers telle ou telle lutte
contre un licenciement, contre un plan social, contre une sanction, pour les
salaires
se constituent de nouveaux groupes militants. Les jeunes y prennent
leur place. Nous voyons parfois ces groupes venir dans nos meetings, y prendre
la parole pour témoigner, faire connaître leur action.
De nouveau liens collectifs se tissent, de nouvelles solidarités se construisent,
de nouveaux engagements. Notre campagne se veut un encouragement à ces
initiatives, au désir de s'organiser, d'agir collectivement, de décider
eux-mêmes. Nous voudrions être un facteur de regroupement, d'organisation
démocratique, aider à l'apprentissage de la lutte collective.
C'est à travers ce foisonnement d'initiatives que les idées de
la lutte de classe pourront reprendre un contenu concret, vivant et dynamique.
Dans la rue
comme dans les urnes
Notre campagne, c'est aussi permettre au mécontentement de s'exprimer
le plus clairement possible, c'est donner à chacun la possibilité
de faire de son bulletin de vote un encouragement pour les luttes.
C'est une même démarche qui unit notre campagne autour de l'urgence
sociale et démocratique, les discussions autour de notre programme et
le vote pour les listes LCR-LO. Le vote protestataire contre la politique du
Medef et ceux qui la mènent ou l'ont menée au gouvernement, le
vote d'encouragement pour les luttes, le vote pour les mesures d'urgence sociale
et démocratique, ces trois axes que seuls LO et nous pouvons défendre,
se conjuguent dans la perspective d'une nouvelle force, parti des travailleurs
et des luttes.
Cette conjugaison, c'est la construction de liens démocratiques fondés
sur un accord politique discuté, librement consenti, dont chacun connaît
les tenants et aboutissants. Il s'agit de faire connaître, d'expliquer,
de discuter notre programme et nos idées, de construire autour d'eux
des relations démocratiques.
Nous nous battons pour avoir des élus, porte-parole du monde du travail,
relais et organisateurs de ses luttes sur le plan politique.
Le mouvement social ne néglige aucun combat, ni aucun terrain. La lutte
sociale et la lutte politique menées du point de vue des intérêts
de la population, c'est une seule et même lutte de classe.
Notre travail politique est un véritable travail de masse.
L'unité
des révolutionnaires, une démarche qui résulte de notre
programme
Discuter au sein du mouvement social des moyens de préparer une contre-offensive
conduit à mettre au centre de nos préoccupations la question de
l'unité du monde du travail. Unir pour et dans les luttes, regrouper
autour des perspectives d'un plan d'urgence sont deux moments d'une même
démarche. Elle a pour corollaire d'uvrer dans le sens de l'unité
des révolutionnaires.
L'accord électoral avec LO définit un axe politique, la seule
opposition, dans le camp des travailleurs, au patronat et au gouvernement. Nous
ne savons pas quelle sera la réalité sur le plan électoral
de cette nouvelle force d'opposition, mais il est certain que son affirmation
comme un courant bien vivant, militant, sera le fait marquant de ces élections.
C'est pourquoi se combinent la bataille électorale, convaincre que le
seul vote utile est le vote LCR-LO, et la bataille de construction en vue des
luttes et de l'émergence d'une nouvelle force. Les deux sont indissociablement
liés.
Et, de même que l'unité du monde du travail pour la lutte exige
la démocratie, le dépassement de l'accord LCR-LO, par delà
les élections, suppose de construire des relations démocratiques
et ouvertes entre les militants des deux organisations, mais aussi et surtout
avec le mouvement social et plus largement avec les travailleurs.
Il existe des divergences entre la LCR et LO, entre les différents courants
qui animent la LCR, entre la majorité et la minorité de LO, ces
divergences sont notre richesse. Notre capacité à les gérer
collectivement dans un cadre unitaire sera la preuve de notre capacité
à rompre avec le passé et les vieilles bureaucraties du mouvement
ouvrier pour construire un cadre dynamique et vivant à travers lequel
les travailleurs pourront participer pleinement au combat et aussi au débat
politiques, faire leur expérience, apprendre, décider, choisir
eux-mêmes leurs dirigeants, les contrôler en toute transparence.
D'une certaine façon, relever ce défi de l'unité et de
la démocratie pour, par delà les divergences, construire, sur
la base d'un engagement sincère et loyal, un front des révolutionnaires,
sera la plus éclatante démonstration que nous sommes capables
de faire face à nos responsabilités pour nous préparer
aux combats à venir.
Yvan
Lemaitre
L'ex-gauche
plurielle rêve d'étouffer la perspective nouvelle ouverte par les
listes LCR-LO
A moins de trois
semaines du premier tour des élections régionales, on ne compte
plus les attaques de personnalités du PS et plus généralement
de l'ancienne gauche plurielle, à l'égard des listes LO-LCR.
Hollande, fin janvier, " mettait en garde " contre
l'extrême gauche " dont le discours sera radical à
l'égard de la droite, mais dont la tactique fait son jeu ".
Cambadélis, dans une interview parue dans Libération, le 28 janvier,
surenchérissait : " Il ne faut aucune complaisance
avec ceux qui veulent faire perdre électoralement la gauche ".
C'est évidemment l'existence même de nos listes qui gêne
les dirigeants de l'ancienne gauche plurielle, car elles révèlent
à quel point ils n'offrent aucune autre politique que celle qu'ils ont
déjà menée au gouvernement et que mène, aujourd'hui,
la droite au pouvoir. Ils n'ont pas d'autre arme que le chantage pour tenter
de récupérer les électeurs qui, se détournant d'eux,
votent pour l'extrême gauche, un chantage dont ils usent d'ailleurs, également,
pour combattre l'abstention. " Tout citoyen qui renoncera à
voter (...) fera le jeu de la droite ", déclarait Hollande
le 22 février dernier qui, décidément, ne peut se passer
de faire la morale.
La CFDT, il faut le noter en passant, va plus loin encore, puisqu'elle n'hésite
pas à mettre sur le même plan extrême droite et extrême
gauche " dont le populisme est un danger pour la démocratie ".
Il est vrai qu'elle ne se sent pas moins liée à la droite qu'à
la gauche de gouvernement et qu'elle ne fait que reprendre le thème de
la campagne qu'avaient menée l'une et l'autre au lendemain du 21 avril
2002.
Le sens du positionnement
politique au second tour
Ce que combattent les dirigeants de gauche, c'est l'indépendance politique
de l'extrême gauche à leur égard, qui s'exprime, entre autres,
par son positionnement au second tour. Et c'est bien sûr sur cette question
que se concentrent leurs attaques. Alors que la LCR avait proposé à
toutes les organisations de gauche une rencontre pour étudier la possibilité
d'une riposte commune à la politique du gouvernement, Marie-George Buffet
affirmait de manière catégorique : " Si nous
répondons à la sollicitation de la LCR, nous leur dirons qu'on
ne peut pas se dire contre la droite et prendre des décisions, s'agissant
du second tour des régionales, qui peuvent amener à la renforcer ".
Sa réponse caractérise en retour à quel point la liste
qu'elle conduit aujourd'hui avec Claire Villiers n'a pas d'autre perspective,
au final, que rallier le PS.
L'argumentation d'Henri Weber, sénateur du Parti socialiste, réputé
proche de Laurent Fabius, mais qui ne manque pas à l'occasion de se prévaloir
du titre " d'ancien dirigeant de la LCR ", se voudrait
plus subtile. " L'union LO-LCR inquiète les survivants de
l'ex-gauche plurielle, tourmente le PS, et affole les plumes, commente ainsi
Libération. Celle du sénateur PS Henri Weber, a commis un petit
ouvrage vif et cinglant qui, comme son titre l'indique [" Lettre recommandée
au facteur "], interpelle Olivier Besancenot. [
] S'il s'en prend
à la Ligue, c'est parce qu'elle "se trompe d'adversaire". Rompant
avec la tactique du "front unique" qui l'amenait, jusqu'en 2001, à
appeler à voter pour le candidat de gauche le mieux placé au second
tour, la formation d'Alain Krivine a rallié la politique du pire inspirée
par LO, celle qui consiste à concentrer ses tirs sur ceux qu'on dénommait
naguère les "sociaux-traîtres" pour mieux provoquer leur
chute ".
Weber accuse la Ligue, en somme, de ne pas être fidèle à
ses idées !
Il ne viendrait à l'idée d'aucun dirigeant politique d'imaginer
que son parti puisse se désister, sauf exception, de façon inconditionnelle
pour un autre parti. Mais les dirigeants de la gauche plurielle ne peuvent se
résoudre à voir l'extrême gauche adopter un autre comportement.
Pendant longtemps, le courant révolutionnaire, marginalisé par
l'emprise des idées réformistes, sous leur forme social-démocrate
ou stalinienne, sur la classe ouvrière, avait bien des difficultés
à se penser en tant que parti, pour la bonne raison qu'il était
bien loin d'en être même le début. C'est à ces limites,
imposées par la situation, qu'a tenté d'échapper LO en
affirmant une perspective politique indépendante des partis réformistes,
en particulier sous les deux septennats de Mitterrand. Elle a réussi,
pour cette raison, à incarner une alternative politique, lors de l'élection
présidentielle de 95, sans être capable pour autant d'en assumer
les conséquences. Ce qui était une autre façon de rester
prisonnière des limites de la période passée, de cette
habitude de la démarcation, d'un fonctionnement en vase clos, à
travers lesquels elle avait forgé cette indépendance, et qui sont
aujourd'hui un obstacle à son dépassement nécessaire.
Les dirigeants de l'ancienne gauche plurielle savent bien que les consignes
des partis au deuxième tour ont assez peu d'incidence, en fin de compte,
sur les choix des électeurs, mais ils sont bien conscients qu'ils auront
beaucoup plus de difficulté à sauvegarder leur influence sur les
couches populaires à partir du moment où l'extrême gauche
ose s'affirmer comme une véritable perspective politique.
Affirmer
notre perspective révolutionnaire
Le contenu de la tribune de quelques membres de liste de la Gauche populaire
et citoyenne - " La LCR devrait être avec nous "-,
publiée dans Politis récemment(1), est à cet égard
bien significatif. Voici la proposition que ses auteurs, après avoir
affirmé qu' " il serait plutôt désespérant
qu'il n'existe rien entre le PS et les groupes d'extrême gauche "
font à la LCR : " Il n'est jamais trop tard pour éviter
une faute politique. Pourquoi ne pas chercher à convaincre vos alliés
de faire, avec nous, le choix d'une gauche anticapitaliste, une force de résistance,
portant et obtenant des mesures urgentes et défendant des options pour
une vraie politique de gauche au conseil régional ?
Nous devrions y être partenaires avec trois volontés inséparables
: combattre le capital et le libéralisme sous toutes ses formes, associer
pour cela toute la population, rassembler dans la durée pour construire
cette nouvelle approche politique, battre la droite et l'extrême droite,
obliger le PS, les Verts et autres partis de gauche à tenir leurs engagements
et les rehausser. Pouvez-vous vous désintéresser des enjeux du
deuxième tour ? Jamais la droite, si elle est laissée libre
de faire sa politique, ne tiendra quittes les précaires, les sans, les
exclus, les discriminés ".
Il faut préciser que, pas plus dans cette conclusion que dans le reste
de la tribune, il n'est question d'une quelconque mesure concrète, d'un
programme, en dépit de variations infinies sur le thème du changement.
La préoccupation évidente, par contre, est d'occuper l'espace
" entre le PS et l'extrême gauche " pour " reconstruire ",
comme il est dit au début du texte, " une gauche antilibérale,
écologiste, anticapitaliste, féministe, altermondialiste "
et surtout pas révolutionnaire, auraient-ils dû préciser.
Encore que ce ne soit pas la peine, étant donnée l'insistance
apportée au seul engagement véritable qui est indiqué :
appeler à battre la droite au second tour. Une énième mouture
pour une nouvelle " gauche plurielle " ou " union
de la gauche ", comme elle a été à chaque
fois représentée par le PC, composante essentielle de la liste
en question, dans l'objectif de revenir un jour au gouvernement avec le PS.
Ce projet politique, tous les travailleurs, les militants, qui se sont sentis
trahis dans leurs aspirations par les dirigeants du PC, le connaissent bien.
Ils l'ont expérimenté en 81, puis en 97. Affirmer notre indépendance
politique par rapport à ces combinaisons parlementaires qui ont montré
leur faillite, c'est pouvoir leur dire : " vous devriez -et vous
pouvez- être avec nous " pour construire un parti des luttes,
un parti révolutionnaire, une véritable alternative politique
et sociale.
Galia
Trépère
1- " La LCR devrait être avec nous ",
une tribune de membres de la Gauche populaire et citoyenne à propos des
régionales. Des candidats ou membres du comité de soutien de la
liste " Gauche populaire et citoyenne " en Île de
France, Jean Brafman, Pierre Cours-Salies, Bénédicte Goussault,
Pierre Zarka et Malika Zediri interpellent la direction de la LCR.
http://www.politis.fr/article855.html
La laïcité, ses origines révolutionnaires, ses limites et le mouvement ouvrier
Le débat
autour du vote de la loi sur l'interdiction du port du voile à l'école
a permis de mettre en avant la question de l'oppression des femmes, mais il
a aussi ramené la laïcité sur le devant de la scène,
donnant l'occasion à certains de revêtir la robe d'une nouvelle
croisade laïque. Avec beaucoup d'hypocrisie d'ailleurs, car depuis qu'elle
est entrée dans la loi en 1905, en excluant radicalement l'Eglise du
domaine public, la laïcité n'a pas cessé d'être battue
en brèche, entre autre par ceux-là mêmes qui voudraient
aujourd'hui s'en faire les champions.
Si la laïcité, acte de gloire et " étendard de
la République " sert aux révolutionnaires de point d'appui
dans le combat contre les intégrismes sous toutes leurs formes, que reprenons-nous
à notre compte de ce combat ? Quelles sont nos solidarités
avec ceux qui l'ont mené ? Comment en s'appuyant sur ses acquis
démocratiques le dépasser ?
Ces questions ne peuvent trouver de réponses si l'on n'envisage pas ce
combat du point de vue de son histoire, pour comprendre en quoi les révolutionnaires,
nous nous y rattachons sans en faire pour autant le nôtre, et le dépassons.
Aux origines
de la laïcité, les idées des philosophes des Lumières
Le combat contre la religion et sa domination sur l'ensemble de la société
qui a donné naissance à la laïcité, prend ses racines
au XVIIIème siècle, dans le combat que menèrent en France
les philosophes des Lumières, Voltaire, Diderot et les Encyclopédistes.
La verve, l'ironie et les attaques sans concession de ces intellectuels avaient
pour principale cible l'Eglise, pilier du pouvoir des classes féodales
de l'Ancien Régime, et toutes les institutions religieuses. " Ecrasons
l'infâme ", disait Voltaire, qui, toute sa vie, combattit
par la critique et la raillerie l'Eglise, instrument réactionnaire du
pouvoir féodal.
Leur passion pour les idées, leur haine de l'obscurantisme, leur insolence
à l'égard des dogmes, leur acharnement à combattre l'intolérance
et le despotisme amena certains d'entre eux comme Diderot à un athéisme
militant. " Ce n'est pas Dieu qui a fait les hommes à son
image, ce sont les hommes qui tous les jours font Dieu à la leur ".
Ils n'acceptaient d'autorité que celle de la " raison ",
balayant tout ce qui pouvait constituer un obstacle à l'avancée
de la science, à la modernisation de la société et à
l'ascension de la classe montante qui en était porteuse, la bourgeoisie
révolutionnaire.
C'est pour cela qu'ils combattirent non seulement le pouvoir de l'Eglise en
tant qu'institution politique mais aussi l'obscurantisme, le dogmatisme des
religions, quelles qu'elles soient, et menèrent un combat qui était
tout à la fois philosophique, culturel, social et politique.
Ils ne s'en tenaient pas à la simple critique du cléricalisme
et de la superstition. Ils défendaient le droit pour tout être
humain d'être libre de ses convictions mais également responsables
de celles-ci. " Les seules limites de la liberté de pensée
en sont ses conséquences sociales, en aucun cas les convictions ou conceptions
en tant que telles ".
C'est un combat révolutionnaire qu'ils menèrent, en aidant par
leurs idées à l'émancipation des consciences.
Ils étaient les intellectuels d'une classe qui puisa en eux les idées
de son combat, car pour vaincre la féodalité et prendre le pouvoir,
la bourgeoisie avait besoin d'en finir avec la domination sur toute la société
de son plus solide pilier, l'Eglise et que les cerveaux se libèrent des
craintes, des préjugés et de la morale religieuse.
La Révolution, sous la pression des masses les plus exploitées
faisant irruption sur la scène politique, accomplit cette tâche
immense de " laïcisation " de l'Etat et de la société.
Elle posa comme principe la séparation de l'Eglise et de l'Etat, nationalisa
les biens du clergé qu'elle soumit au contrôle démocratique
populaire, en faisant élire les prêtres et les évêques
dans les assemblées de citoyens. Elle déracina toutes les congrégations
du domaine public en proclamant " l'incompatibilité absolue
de leur principe de sujétion avec le principe vital de liberté
individuelle sur lequel l'ordre nouveau était fondé "
(Jaurès). Elle laïcisa l'état civil et le mariage, accorda
le divorce et autorisa le mariage des prêtres. Elle proclama comme objectif
de l'école : " faire des hommes libres et heureux ".
La Convention prit les mesures qui permettaient aux " enfants de
la République, pauvres ou riches, d'être élevés en
commun dans les établissements de l'Etat et d'y recevoir même nourriture,
mêmes vêtements, mêmes soins, même instruction ".
Elle instaura ce que Jaurès appelait le droit supérieur de l'Etat
laïque enseignant.
Le pouvoir de la bourgeoisie définitivement installé, celle-ci
n'eut de cesse de composer avec l'Eglise en limitant les conquêtes de
la laïcité imposées par la mobilisation et sous la pression
des classes populaires.
Car la loi de la nouvelle République, reposait sur le droit de la propriété
bourgeoise. La Révolution libéra des liens féodaux les
masses exploitées, transformées en autant de citoyens libres
de vendre leur force de travail à l'industrie naissante. Classe dominante,
la bourgeoisie érigea ses propres intérêts en vertus universelles,
remplaçant le vieux culte catholique par le culte de la République,
culte de la Raison, c'est-à-dire
de la Propriété
bourgeoise. L'égalité de tous les citoyens, les droits de l'homme,
universels dans les déclarations, s'arrêtaient aux portes de la
propriété.
Le compromis
entre la bourgeoisie et l'Eglise
En tant que classe dominante, la bourgeoisie se hâta de recomposer avec
les forces réactionnaires de l'Eglise, pour consolider et légitimer
son pouvoir, que contestait un prolétariat en pleine expansion.
En 1801, Napoléon conclut avec le Vatican un Concordat, complété
plus tard par une série de réformes qui abolissaient la liberté
d'enseignement, réinstaurant un monopole, celui de l'Université
impériale, dont l'enseignement devait obéir aux " préceptes
de l'Eglise catholique ". L'enseignement primaire fut placé
sous la dépendance des Frères des Ecoles chrétiennes, qui
formeront tous les instituteurs jusqu'à la fin du siècle. Et pour
affirmer la légitimité de la transmission de la propriété
bourgeoise, le divorce fut interdit en 1816, il le restera jusqu'en 1884.
Confrontée aux luttes du mouvement ouvrier montant, la bourgeoisie ne
fit que renforcer les pouvoirs de l'Eglise. Sitôt écrasée
la révolution de 1848, la loi Falloux confessionnalisa plus encore l'enseignement
primaire, " faisant entrer le prêtre à tous les degrés
dans la direction et la surveillance de l'enseignement officiel "
et élargissant les droits de l'école " libre ".
C'est cette Eglise réactionnaire, liée aux fractions royalistes
les plus conservatrices de la classe dominante et qui avait reconquis des positions
solides vis-à-vis de l'Etat, que la bourgeoisie républicaine prit
pour cible dans son combat démocratique.
Avec la révolution industrielle et le développement des techniques,
la bourgeoisie industrielle conquérante avait besoin à la production
d'une main d'uvre qui sache lire, écrire et compter, et qui possède
un minimum d'instruction technique. Pour instaurer cette école de formation
d'ouvriers, elle dut chasser de l'enseignement les congrégations religieuses
et fit de l'anticléricalisme et de la laïcité son combat.
Poussée par un puissant mouvement ouvrier qui avait instauré sous
la Commune la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la gratuité
de l'enseignement pour tous et réquisitionné les biens de l'Eglise,
la bourgeoisie républicaine laïcisa l'enseignement en 1881 avec
les lois Ferry : elle retira aux curés le monopole de l'enseignement
et instaura une école publique répondant à ses besoins,
obligatoire, et donc gratuite. Des milliers d'instituteurs s'engagèrent
dans le combat contre l'école privée confessionnelle, devinrent
des militants actifs de la laïcité, de cette école de la
République créée pour inculquer aux enfants des classes
populaires les rudiments de culture indispensables aux progrès de la
productivité mais aussi la morale, le respect de la loi et des valeurs
de la société bourgeoise, en particulier le patriotisme et la
valeur " civilisatrice " du colonialisme.
Le combat anticlérical des républicains ne se limita pas au seul
domaine de l'enseignement. Hôpitaux, prétoires et cimetières
furent débarrassés de tout caractère confessionnel, le
divorce civil instauré en 1884. L'uvre de laïcisation, pour
laquelle la bourgeoisie trouva l'appui décisif du mouvement ouvrier,
aboutit en 1905 à la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat,
fruit du compromis entre radicaux et socialistes, que Jaurès formula
en 1904 à la tribune du Parlement :
" La République a duré assez longtemps pour permettre
à la bourgeoisie républicaine et au prolétariat de s'apercevoir
que, malgré l'antagonisme profond de classe qui résulte de l'opposition
entre la propriété individuelle capitaliste et la conception collectiviste
et communiste de la propriété, ils avaient de grands intérêts
communs dans le libre développement de la production, laquelle ne peut
être active et féconde que dans un pays de libre énergie
et de libre pensée
Voilà pourquoi au-dessus de leurs batailles
sociales, au-dessus des conceptions antagonistes de la propriété
capitaliste et de la propriété socialiste qui se disputent les
esprits et les intérêts, s'est constitué au profit du parti
républicain tout entier, de la démocratie républicaine
tout entière, un patrimoine commun des libertés laïques et
d'enseignement rationnel
"
" Les socialistes
, disait alors Rosa Luxemburg, en
revendiquant en même temps la laïcisation générale
de l'instruction et de l'assistance publique ne font que contraindre la bourgeoisie
à aller jusqu'au bout de ses principes et à moderniser bourgeoisement
l'Etat ".
Une fois la défaite des cléricaux et de l'Eglise inscrite dans
la loi, (elle ne le sera dans la Constitution qu'en 1946 : " la
France est une République laïque
"), la laïcité
ne cessa d'être battue en brèche tout au long du XXème siècle.
Aucun des gouvernements qui se succédèrent après la Libération
ne revint entièrement sur les lois de Vichy qui avaient rétabli
dans les programmes scolaires les " devoirs envers Dieu et envers
la civilisation chrétienne " ainsi que de substantielles
subventions de l'Etat aux écoles " libres ".
L'aide financière fut généralisée par la IVème
République sous la pression incessante des organisations catholiques
appuyées par les partis réactionnaires de droite et d'extrême
droite, et institutionnalisées par la Vème. La loi Debré
de 1959 instaura l'aide systématique de l'Etat au privé (à
caractère majoritairement confessionnel à l'époque comme
encore aujourd'hui), en puisant généreusement dans les fonds publics,
tout en laissant l'école publique se dégrader par manque de moyens.
Sur ce terrain, les partis de gauche allèrent de reniement en reniement,
de la SFIO en 1956 qui, une fois au gouvernement, refusa d'abroger les lois
d'aide à l'enseignement privé qu'elle avait mis à son programme,
à l'alliance PS-PC qui, après 81, remit vite dans sa poche les
mêmes promesses ainsi que celle de nationalisation de l'enseignement privé,
" un grand service public unifié et laïque ",
inscrit dans le Programme commun.
Il est à noter qu'aucun gouvernement de droite comme de gauche ne revint
sur le Concordat d'Alsace-Moselle, l'Etat continuant encore aujourd'hui à
y payer les prêtres. La loi fut juste assouplie en 1974 par
le gouvernement
Chirac-Giscard qui, sous la pression des luttes d'instituteurs et de parents
d'élèves, autorisa ces derniers à dispenser leurs enfants
de l'enseignement religieux jusque-là imposé à tous.
Lutter
pour l'émancipation sociale, lutte contre toutes les oppressions
Le débat autour de la loi sur le voile vient de ramener sur le devant
de la scène la question de la laïcité, dont Chirac s'est
fait le défenseur pour s'imposer, en continuité avec le 5 mai,
comme l'homme du consensus, en se posant, au-delà des clivages droite-gauche,
en défenseur de la République.
Certains aujourd'hui cherchent à assouplir son contenu en défendant
une laïcité ouverte, neutre, qui tolèrerait le port de signes
religieux à l'école, " dans le respect mutuel ",
prenant comme exemple les Etats-Unis ou l'Angleterre. Pour d'autres, parmi lesquels
beaucoup de militants du mouvement ouvrier réformiste - et avec
eux, le PC - la laïcité ne veut pas dire la neutralité.
Se revendiquant du combat laïc de la IIIème République qui
s'inscrit dans le combat pour la démocratie, ils militent pour la séparation
totale de la sphère publique et de ce qui relève des convictions
religieuses ou idéologiques. Mais pour tous, les convictions religieuses
relèvent du domaine privé où " chacun est
libre ". Elles relèvent, au même titre que d'autres,
de la liberté de pensée
Si les révolutionnaires s'appuient sur la laïcité, en particulier
dans la lutte aux côtés des filles qui refusent qu'on leur impose
le voile et qui luttent pour leur émancipation, leur combat est bien
plus large, il intègre la lutte contre toutes les oppressions et contre
la morale, les préjugés et les idées qui les justifient.
La religion, disait Lénine, doit être une affaire privée
en face de l'Etat (qui doit être séparée de l'Eglise), mais
cela ne signifie pas que le mouvement ouvrier et ses partis soient indifférents.
Ils luttent contre toutes les idées de domination qui prônent la
soumission et la résignation comme le mépris des femmes, au profit
des pouvoirs.
" Le marxisme est un matérialisme, expliquait-il. A
ce titre, il est aussi implacablement hostile à la religion que le matérialisme
des encyclopédistes du XVIIIème siècle
Mais il va
plus loin
On ne doit pas confiner la lutte contre la religion dans une
prédication idéologique abstraite ; on ne doit pas l'y réduire ;
il faut lier cette lutte à la pratique concrète du mouvement de
classe visant à faire disparaître les racines sociales de la religion
Ces racines sont surtout sociales ".
C'est en cela que nous nous rattachons aux Lumières qui menaient un combat
de classe, un combat révolutionnaire, en luttant contre l'Eglise, les
religions, les préjugés, l'obscurantisme, pour libérer
les esprits et les armer dans la lutte pour l'émancipation. De la même
façon, loin de l'cuménisme et des vux pieux de ceux
qui défendent l'égalité et la laïcité républicaines
qui masquent les inégalités sociales et la dictature de la propriété,
nous luttons contre toutes les religions, y compris celles considérées
comme opprimées, contre les dogmes et les préjugés, pour
armer la lutte des opprimés pour l'émancipation sociale.
La bourgeoisie révolutionnaire proclama la séparation de l'Eglise
et de l'Etat, la classe des salariés inscrit sur son drapeau la fin des
superstitions religieuses, le dépérissement de l'Etat avec la
fin de la division de la société en classes.
Catherine
Aulnay
Notes de lecture : Métaleurop, Paroles ouvrières de Frédéric H. Fajardie
Ce recueil d'entretiens
a été réalisé à la demande des ouvriers de
Métaleurop. L'écrivain a mis sa plume à leur service pour
transcrire leurs paroles, raconter leur lutte contre les licenciements et la
fermeture de l'usine au début de 2003.
Avant Métaleurop, il y avait une société espagnole datant
de 1881, Penarroya, fondée par des financiers, dont les Rothschild. En
quelques lignes, Fajardie retrace l'histoire du groupe, rachats de mines, nouvelles
production, développement international, notamment en France, près
de Marseille et dans le Nord, à Noyelles-Godault, là où
se situe l'usine principale du groupe, fondée en 1920, celle qui deviendra
Métaleurop en 1988. Les périodes de guerre ou de crises, comme
celles de croissance, ont plutôt profité aux actionnaires de Penarroya.
Avec les années 80 et la libéralisation des marchés financiers,
de nouveaux actionnaires prennent peu à peu le contrôle. Le principal,
le groupe Glencore, spécialiste du commerce de matières premières,
met en place des montages financiers complexes, ses actionnaires sont domiciliés
aux Bermudes, une armée de spéculateurs travaille pour lui :
Glencore est le type même de groupe financier qui exige une rentabilité
immédiate des capitaux investis. Dès que Métaleurop annonce
des pertes, en 2001, la réaction de Glencore est de préparer la
fermeture en dépouillant l'usine au maximum : disparition des stocks
de matière première, mystérieux braquage d'un camion Métaleurop
transportant huit tonnes de barres d'argent en juillet 2002, et puis finalement
le dépôt de bilan en janvier 2003, pour ne pas avoir à payer
ni les indemnités des 830 salariés, ni les coûts de dépollution
du site, environ 150 millions d'euros. " Patrons voyous ou voyous
devenus patrons " se demande un salarié.
Les témoignages montrent la dégradation progressive de l'usine,
les réparations qui ne sont plus effectuées, les procédés
techniques nouveaux abandonnés, la comptabilité laissée
à la dérive. Autant d'informations morcelées, perçues
par les salariés dans leurs différents secteurs qui auraient permis
de comprendre que la fermeture se préparait et rendent concrète
l'idée de la nécessité du contrôle par les salariés.
Car jusqu'au bout, Glencore a évoqué un plan de licenciements,
pas la fermeture totale de l'usine. Comme le dit Mario : " J'ai
appris la fin de Metal' par le fameux fax. J'étais à l'usine.
On a tout de suite compris qu'on s'était fait rouler dans la farine avec
la restructuration. On savait qu'il y aurait des pertes d'emplois
En définitive,
ils ont viré tout le monde. On a été abattus, ça
a été comme un coup de massue, mais ça n'a pas duré.
Après, ça a été la lutte ".
Et c'est dans la lutte que l'unité s'est construite. Ouvriers, fondeurs,
comptables, ingénieurs, laborantin, informaticien, agents de maîtrise,
retraité, ancien mineur, chef d'atelier, agents commerciaux, agent de
sécurité, secrétaire, haut responsable : tous ces
salariés aujourd'hui sur le carreau témoignent de la vie à
l'usine, pour certains depuis des décennies, et de la lutte qui les a
rapproché, leur a fait découvrir qu'ils faisaient partie d'une
seule et même classe.
Comme ce témoignage de Mustapha : " J'ai commencé
à Métaleurop en 1966 comme maçon
J'ai été
fondeur pendant 35 ans, je suis tombé deux fois dans le coma à
cause de la chaleur parce que le métal en fusion sort à 1500 degrés.
Mon garçon aussi, il a travaillé à Métaleurop ;
après l'accident en 1991, je lui ai dit de travailler ailleurs. Il y
a eu onze morts dans cette explosion.
Je suis un simple ouvrier, mais
je suis fier de ça, d'appartenir à la classe ouvrière
Ils n'ont pas réussi à nous diviser. Tu vois, entre Français
et immigrés, t'avais pas de racistes, ici, on était égaux
dans le travail, égaux dans la grève - égaux aussi
quand t'es malade ou que tu meurs parce qu'il y a eu un accident ; on dit
pas 'l'Algérien, il est mort brûlé' parce que Français
ou Algérien, c'est des ouvriers, c'est tout. ".
Le déroulement même de la lutte contre la fermeture n'est pas raconté,
on s'en fait une idée à travers les différents entretiens,
mais chacun fait part des leçons qu'il en tire, sur le capitalisme, sur
la gauche, sur le syndicalisme, sur la violence
A travers tous les témoignages,
émerge une nouvelle lucidité sur les rapports de classe qui s'exprime
à travers un sentiment de fierté et de dignité, celui de
faire partie du monde du travail qui résiste et lutte comme il peut.
Comme dit Pasca : " Maintenant, et n'importe où dans
le monde où il y aura des conflits, je me sentirai proche de ceux qui
luttent ".
Franck
Coleman