Débat militant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°49
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26
juin 2004
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Sommaire : | ||||||||||
Après les élections européennes, persévérer pour construire une force démocratique et révolutionnaire du monde du travail | ||||||||||
De la sanction social-libérale du gouvernement à l'étouffement des luttes | ||||||||||
Non
à la Constitution de l'Europe capitaliste Pour une assemblée constituante des travailleurs et des peuples |
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Après les élections européennes, persévérer pour construire une force démocratique et révolutionnaire du monde du travail
Les résultats
des élections européennes s'inscrivent dans la continuité
des régionales, à la différence d'une forte progression
de l'abstention. Pour nos listes, alors que les régionales révélaient
plutôt une stagnation, les européennes ont montré un vrai
recul (1 075 883 voix le 21 mars, 432 630 le 13 juin). Les listes LO-LCR ont
plus que les autres subi l'effet de l'abstention qui s'est élevée,
selon des sondages, à 70 % chez les ouvriers, 78 % dans la
jeunesse. Ces couches qui ont rompu avec les partis institutionnels, n'ont pas
pensé utile d'aller voter pour une liste qui semblait écartée
par avance de la possibilité d'avoir des élus par une loi antidémocratique
faite pour protéger les grands partis. En même temps, cet abstentionnisme
très important dans les couches les plus populaires dément l'idée
que la victoire du PS signifierait que celui-ci a renoué avec son électorat
de 1981 ou même de 1997. La rupture avec le social-libéralisme
du 21 avril 2002 est confirmée dans une large fraction du monde du travail.
Alors, la droite, bien que désavouée, est rassurée. Elle
enregistre un deuxième échec électoral, mais elle sait
que son principal opposant ne conteste pas sa politique sur le fond. Les menaces
de Raffarin vis-à-vis des agents d'EDF-GDF montrent bien qu'il ne se
sent pas menacé. Son affaiblissement électoral ne l'empêche
pas de défier ouvertement les travailleurs en lutte.
L'abstentionnisme exprime le rejet des partis gouvernementaux au service du
libéralisme mais aussi le manque de confiance de larges fractions du
monde du travail et de la jeunesse. La pression sociale, économique,
politique de la bourgeoisie s'exerce fortement. Les attaques du patronat, l'augmentation
du chômage (100 000 emplois détruits dans l'industrie en 2003,
70 000 de plus prévus en 2004) et de la précarité
(le nombre de RMIstes a enregistré sa plus forte hausse depuis neuf ans,
avec près de 9 % de progression dans l'année, atteignant
1,2 millions), ont un effet profondément démoralisant sur le monde
du travail. D'autant que la bourgeoisie ne rabaisse pas son arrogance :
Michelin s'augmente de 146 % et supprime 2500 emplois, la direction de
STMicroElectronics envoie les CRS contre les salariés, et quand l'INSEE
annonce une réévaluation de la croissance attendue pour 2004 (2,3 %),
c'est en précisant aussitôt qu'elle sera destructrice d'emplois
!
Seillière ne s'y est pas trompé, dans sa conférence de
presse d'après les élections : " Nous abordons
la deuxième période du quinquennat, sans élections pendant
trois ans. Donc le gouvernement est libre d'agir, n'a plus à se préoccuper
des échéances électorales et est en mesure de pouvoir conduire
son action. Alors allons de l'avant, allons-y vite et allons-y fort ! ".
Et il poursuit : " Les réformes, le gouvernement s'y
est mis lentement, mais il l'a fait, de façon certes insuffisante sur
les retraites, et il est en train de le faire pour l'assurance-maladie
il faut également le faire sur l'assurance-chômage, (
) le
service minimum, la réforme de l'État
et la lisibilité
du code du travail ".
La feuille de route du patronat est claire. Alors, si Raffarin comme le Medef
se permettent cette attitude de défi, c'est qu'ils savent bien qu'ils
peuvent s'appuyer sur l'accord politique de leur opposition parlementaire. Le
PS a mis lui-même en uvre la politique libérale que Raffarin
poursuit et amplifie. Les directions syndicales jouent un double jeu depuis
plusieurs mois, " diagnostic partagé " sur
la sécu, négociations quasi secrètes pendant plusieurs
semaines avec Douste-Blazy, et en même temps, appel à quelques
actions pour satisfaire une base mécontente.
L'échec électoral de nos listes est le reflet d'un recul qui dépasse
l'extrême gauche. Il est le reflet des difficultés de l'ensemble
du mouvement social à riposter aux attaques, à opposer à
la politique libérale une politique de défense du monde du travail,
à tirer les bilans de son échec du printemps 2003. Le manque de
confiance des travailleurs en leur propre force entraîne l'indifférence
et une dépolitisation qui se sont exprimées dans les élections,
mais aussi dans les luttes. Notre échec électoral en est une des
expressions.
Pour une moindre part, et même s'il est difficile de le mesurer, la nature
même de l'accord entre LO et la LCR a pesé aussi. Limité
aux élections, il n'était pas une perspective à la hauteur
des enjeux qui s'imposent au mouvement social. Depuis 1995, un électorat
s'est regroupé autour des candidatures d'Arlette Laguiller, puis d'Olivier
Besancenot, passant de 5 à 10 % en 7 ans. L'extrême gauche
n'a pas su répondre aux attentes de cette fraction importante des classes
populaires. Unie en 1999 et 2004, séparée en 2001 et 2002, de
nouveau séparée après les Européennes ? quelle
est la logique de ces va-et-vient ? Les accords entre nos deux organisations
sont peu à peu apparus comme des calculs électoraux à tous
ceux qui ont compris qu'on ne pourrait pas préparer la riposte sans l'unité.
La seule façon de dépasser les divisions est de formuler la perspective
claire du regroupement et du dépassement, vers une force politique pour
les luttes, pour la fraction du monde du travail qui veut une expression politique
organisée de ses aspirations, de ses revendications. Pour une part, notre
échec, c'est celui de la division, produit du gauchisme qui ne sait pas
distinguer les convergences essentielles et les différences secondaires
parce qu'il ne sait pas se situer du point de vue des intérêts
généraux du mouvement social comme du mouvement démocratique
et révolutionnaire.
Mais l'échec n'efface pas les acquis. Bien au contraire, il éclaire
sur les limites et indique la voie de leur dépassement dans les prochaines
étapes. Il nous faut garder le cap de l'unité des révolutionnaires,
sur la base d'un plan d'urgence sociale et démocratique, véritable
programme pour les luttes.
Elles marquent certes le pas ? Mais une nouvelle conscience se forge dans
le monde du travail qui fait l'expérience qu'il n'a pas d'alliés
dans les directions de la gauche et des confédérations syndicales.
Déjà, le mouvement de mai-juin 2003 avait fait naître des
collectifs et d'autres cadres de discussion et d'organisation démocratiques,
dans lesquels se retrouvaient les militants des organisations, rejoints par
une nouvelle génération, tous soucieux de pouvoir militer en dehors
des structures bureaucratisées, en rupture avec leur politique d'accompagnement
du libéralisme.
La victoire du PS donne toute son actualité à la nécessité
d'un parti des travailleurs indépendant. Elle renforce les illusions
électorales et donne les moyens au PS de peser sur le courant révolutionnaire,
pour essayer de le marginaliser ou de le neutraliser. Que le PS gauchisse ou
pas son langage, il essaiera de se protéger sur sa gauche, n'hésitant
pas à se réclamer de l'antilibéralisme, pour essayer de
capter ceux qui se sentent proches de nous en se nourrissant de la démoralisation.
Les échecs du mouvement social, l'étouffement des luttes par la
gauche social-libéral comme par les directions des confédérations
syndicales, dont principalement la CGT, qui lui sont ralliées nourrissent
les illusions ou du moins l'idée qu'avec la gauche ce sera moins pire
qu'avec la droite.
Ces faux espoirs aboutissent à l'attentisme, détournent les travailleurs
et les jeunes de la défense de leurs propres intérêts par
eux-mêmes, avec leurs propres armes.
Le monde du travail ne peut résister ou mener pleinement sa lutte contre
le patronat et la droite qu'en se dégageant de toute illusion dans le
social libéralisme et dans le jeu de l'alternance qui le paralyse.
C'est avec " une lente impatience " que nous avons
à nous atteler à la construction d'une nouvelle force du monde
du travail, dans la continuité politique de la campagne commune LCR-LO.
Les acquis de notre campagne unitaire sont un point d'appui militant important
pour aller de l'avant.
Les attaques de la bourgeoisie donnent de plus en plus de poids aux mesures
du plan d'urgence que nous avons défendu : mettre fin au chômage,
à la précarité, interdire les licenciements, embaucher
dans les services publics, augmenter les salaires et les retraites, prendre
sur les profits, imposer un contrôle des travailleurs sur l'économie.
La montée du militarisme donne plus de crédit aussi à notre
internationalisme, contre l'occupation en Irak, contre le redéploiement
impérialiste, financier et militaire, pour piller les peuples.
La croissance destructrice du capitalisme, l'impression de faillite généralisée
et de décadence de ce monde fait grandir la conscience qu'une révolution
sera nécessaire.
Défendre pied à pied ce programme, c'est se donner les moyens
de gagner dès aujourd'hui et dans les mois à venir de nouveaux
camarades, conscients que ce programme de lutte est indispensable pour les résistances
quotidiennes, pour l'indépendance politique de la classe ouvrière
pour qu'elle se forge sa propre conscience sur la base de ses intérêts.
Nous avons à aider à se regrouper tous ceux qui ne veulent pas
se bercer d'illusion et attendre un succès de la gauche en 2007.
Se battre contre le patronat et la droite aujourd'hui, c'est n'avoir aucune
confiance dans cette gauche social-libérale, politique ou syndicale.
Nous voulons uvrer à l'unité et à la démocratie
dans le mouvement social, en défendant un programme d'indépendance
et de lutte de classe.
Cela signifie dans l'immédiat faire le bilan des luttes tant sociales
que politiques. Construire, c'est aujourd'hui analyser les raisons des échecs,
en tirer les enseignements politiques alors qu'à travers la luttes des
électriciens et des gaziers comme à travers toutes les résistances
se forgent une profonde révolte non seulement contre l'arrogance et le
mépris de la droite minoritaire et illégitime mais aussi contre
cette gauche satisfaite d'elle-même, suffisante et cynique.
Franck Coleman
De la sanction social-libérale du gouvernement à l'étouffement des luttes
La bataille d'amendements
a donc débuté au Parlement. Elus PS et PC, c'est à qui
en déposera le plus grand nombre, comme si les " réformes "
du gouvernement étaient " amendables " ! Il
n'y a rien à discuter, rien à négocier, tout est à
refuser en bloc, mais tout le petit monde politicien de gauche s'affaire et
se partage les rôles de cette mascarade. On nous rejoue le jeu de dupes
de l'an passé sur les retraites avec, cette fois, un PS qui ne pense
qu'à 2007 et met tout son personnel politique, syndical, tous ses satellites
en action pour préparer son tranquille retour au gouvernement.
Jeudi, la CGT a transmis aux groupes parlementaires ses " propositions
de modification " du projet de réforme de l'Assurance-maladie
pour " faire face de manière solidaire à la croissance
inéluctable des dépenses de santé ", précisant
en préambule de son " argumentaire " de cinq
pages que " la CGT estime indispensable une réforme de l'Assurance-maladie ".
La semaine dernière, Bertrand, secrétaire d'Etat, expliquait au
Monde que " l'important était d'obtenir que la réforme
ne soit pas rejetée en bloc "
Alors, si les salariés d'EDF-GDF continuent la lutte, recherchant le
soutien de la population en rétablissant le courant aux plus démunis
et en s'en prenant aux membres du patronat et du gouvernement, la mobilisation
contre le projet du gouvernement sur la Sécu et contre la privatisation
d'EDF a marqué le pas depuis le mardi 15 juin. Ce jour-là, deux
jours après les Européennes, l'absence de toute volonté
de lutte des directions des centrales syndicales est apparue à tous de
façon manifeste.
Comme le titrait le Monde, " Douste-Blazy a gagné
son pari ". Du " diagnostic partagé "
à la " bonne réforme " et à
la bataille d'amendements, la logique s'est déroulée. Une logique
que les salariés, les militants syndicaux ne sont pas parvenus à
entraver et Chérèque, Mailly et Thibault, chacun avec leur " spécificité ",
ont étouffé le mouvement et préparé le boulot au
PS... et au gouvernement.
Un PS plus social-libéral que jamais, dont les têtes de listes
choisies pour les Européennes, Rocard ou Moscovici, sont des hommes dont
la bourgeoisie a pu mesurer tout le talent à gouverner.
Rocard, tête de liste dans le Sud-Est et père de la réforme
des retraites, préconisait dès 1991 dans son Livre blanc
le passage à 42 annuités. Pendant la campagne, il rappelait sa
méthode sur RTL : " les autorités politiques
qui m'ont suivi, droite ou gauche, n'ont pas souhaité appliquer la tactique,
la procédure que je proposais qui était de négocier, de
traiter les retraites par un accord négocié entre le CNPF, les
centrales syndicales ouvrières [
] Ce que j'avais entamé
comme procédure consistait à ouvrir le feu avec un diagnostic,
ça s'appelait 'Le Livre Blanc' "
13 ans plus tard, après avoir fait passer les 42,5 annuités, Raffarin
a repris la méthode Rocard pour la Sécu : " ouvrir
le feu avec un diagnostic ". Les centrales syndicales l'ont partagé
et ont planché sur la réforme dans les bureaux ministériels.
Face à un tel poids, la fraction la plus combative du monde du travail
a tenté d'exercer sa pression à la base, dans les syndicats ou
à travers des collectifs unitaires. Les salariés d'EDF-GDF ont
poussé leurs directions syndicales à la lutte, après avoir
refusé l'an dernier de cautionner la réforme de leur système
de retraite que les directions syndicales leur demandaient d'approuver. Mais
cette pression, si elle a permis de tisser des liens militants nouveaux au sein
de la classe ouvrière, n'a pas été suffisante pour renverser
le rapport de forces et obliger les centrales syndicales à rompre le
consensus.
Pas plus dans la rue que dans les urnes, les travailleurs n'ont pensé
possible de peser réellement, n'ont eu suffisamment confiance dans leur
propre force, dans leur capacité à faire basculer les situations.
Aux élections européennes, 75 % des travailleurs, 78 %
des jeunes se sont abstenus, exprimant en même temps qu'une sanction du
gouvernement leur défiance vis-à-vis du Parti socialiste et de
ses satellites, Parti socialiste qui a recueilli 30 % des voix mais
12 %
des inscrits, ce qui est loin de représenter " l'écrasante
victoire " qu'on lui a prêtée.
La fraction la plus combative, les salariés d'EDF-GDF continuent aujourd'hui,
avec la sympathie de larges franges de la population. La journée de jeudi
a été marquée par de nouvelles actions spectaculaires exprimant
la détermination des grévistes, distribuant l'électricité
gratuitement aux hôpitaux et coupant des entreprises ou des centres industriels,
en solidarité avec des salariés en lutte contre les licenciements
et les délocalisations. Les salariés d'EDF-GDF trouveront-ils
la force nécessaire pour amplifier leur mouvement, s'adresser aux autres
salariés pour faire plier le gouvernement ? Cela semble bien difficile
alors que la seule perspective de l'intersyndicale est de demander, par voie
de pétition, un " référendum "
et que la CGT demande au Parlement de " suspendre tout vote sur
le texte et donner à une commission pluraliste le soin de reprendre tout
le dossier ".
Une nouvelle journée de " mobilisation " est
appelée mardi 29 par la CGT, la FSU et le G10-Solidaire. Ce jour-là
débute l'examen du texte de loi sur la Sécu. Le 29, probablement
qu'à nouveau nombre de salariés tiendront à marquer le
coup, à affirmer leur solidarité et à participer aux manifestations
pour peu que des préavis de grève aient été déposés
dans leur entreprise, ce qui est loin d'être le cas partout
Cette manifestation va être l'occasion pour les militants, les salariés
les plus combatifs et les plus lucides, de dire que nous ne sommes pas dupes,
et que quels que soient le gouvernement et le Parlement, passés, présents
ou à venir, nous ne pouvons compter que sur nos luttes et notre indépendance
pour défendre nos intérêts de classe, les intérêts
collectifs contre l'offensive libérale de la bourgeoisie. Cette manifestation,
comme toutes les initiatives de résistance et de lutte qui ne manqueront
pas dans les semaines et les mois qui viennent est l'occasion de tirer avec
tous les militants du mouvement les leçons de ce printemps, du diagnostic
partagé à la farce parlementaire, pour préparer de façon
lucide les échéances sociales à venir.
Carole
Lucas
François Hollande dévoile le pot aux roses
Et maintenant
2007 ! Oublié le slogan " Et maintenant l'Europe sociale ! "
affiché pendant la campagne des Européennes par le Parti socialiste.
La triple victoire électorale du PS bouscule le programme, et aiguise
les appétits rue de Solferino.
Les lourdes défaites à la présidentielle et aux législatives
de 2002 semblaient pourtant éloigner le PS du pouvoir pour des années.
Les succès cumulés des régionales, cantonales et européennes
crédibilisent aux yeux de la direction socialiste la perspective d'un
retour rapide de la " gauche unie " aux affaires.
La longue traversée du désert de la SFIO après l'avènement
de la Ve République n'encourageait guère les caciques socialistes
à l'optimisme
Il aura fallu moins de temps à François
Hollande qu'à Guy Mollet et François Mitterrand !
Et les préparatifs pour l'élection présidentielle de 2007
s'accélèrent notablement au PS depuis le 13 juin. Plus un jour
sans que les écuries en lice dans la course à l'investiture ne
vantent les mérites de leur poulain dans les médias : les
colonnes des journaux ne désemplissent pas ! Le premier secrétaire
a d'ores et déjà arrêté l'agenda : congrès
extraordinaire du PS fin 2005 sur le " projet socialiste ",
désignation du candidat pour l'élection présidentielle
et négociation d'un contrat de majorité avec les Verts et le PCF
courant 2006.
Pour le reste : bouche cousue
jusqu'en 2007 !
Cette précipitation des socialistes à lancer leur campagne interne
à l'élection présidentielle tranche singulièrement
avec le peu d'entrain - c'est un euphémisme - à prendre
position du côté socialiste sur toutes les questions brûlantes.
Dès qu'il s'agit de définir une orientation alternative aux attaques
anti-ouvrières du gouvernement Raffarin et du patronat, les caciques
du PS manifestent moins d'enthousiasme ! Les socialistes préfèrent
réclamer bruyamment le départ du locataire de Matignon, sinon
celui de l'Élysée, plutôt que militer pour le rejet de leurs
politiques réactionnaires - une politique il est vrai engagée
sous la gauche plurielle
Le patron du PS ne dissimule pas tout le profit à retirer de cette attitude
attentiste.
Une des leçons du scrutin européen est le désaveu de l'ensemble
des équipes au pouvoir, à l'exception de l'Espagne où le
socialiste José Luis Zapatero et sa coalition ont remporté une
victoire surprise à quelques jours seulement des régionales françaises
au moment où l'anglais Tony Blair et l'allemand Gerhard Schröder
ont subi de sérieux revers à l'instar du Premier ministre de droite
français. Le cycle de l'alternance s'engage dans toutes les capitales
européennes indépendamment des couleurs politiques des partis
en place.
Partant, François Hollande comme Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn
estiment plus profitable électoralement d'en dire le moins possible,
de masquer leurs intentions véritables ; il est urgent d'attendre,
et de taire un programme social-libéral qui risquerait d'éloigner
une fraction de l'électorat qui s'est portée sur les candidats
du PS ou de leurs alliés en 2004.
" Et maintenant l'Europe sociale ! " prétendaient-ils.
La réponse Jean-Marc Ayrault, le président du groupe socialiste
de l'Assemblée nationale, sur la Constitution européenne est significative :
" il faut d'abord poser la question au président de la République.
Nous n'avons pas à répondre oui ou non alors que nous ne savons
pas s'il y aura un référendum ". L'absence de position
du PS sur la Constitution participe de cette volonté de ménager
l'avenir.
Les déclarations de François Hollande sont autrement illustratives
de cette orientation misant sur l'usure naturelle de Raffarin III plutôt
que sur la mobilisation. Au soir du scrutin régional, Hollande a condamné
sans ménagement le recours à la grève contre la réforme
de la Sécurité sociale. Le premier secrétaire du PS n'a
alors pas manqué de valoriser l' " esprit de responsabilité "
de son parti, offrant même à Raffarin les services des parlementaires
socialistes pour négocier un plan de sauvetage de la Sécu. Jack
Lang lui a d'ailleurs emboîté le pas récemment à
propos des actions prétendument " illégales "
des salariés d'EDF.
Et l'on pourrait aligner les déclarations bottant en touche dès
qu'il s'agit de préciser les mesures socialistes face à celles
qui sont développées par l'UMP et l'UDF ; il suffit de songer
à l'attitude des socialistes pendant le mouvement sur les retraites au
printemps dernier.
S'il y a surenchère du côté du PS, c'est bel et bien dans
l'affirmation de leur solidarité de classe envers
la bourgeoisie.
Un signe, à la faveur des deux campagnes électorales, Lionel Jospin
est réapparu subrepticement sur le devant de la scène, n'hésitant
pas, malgré son retrait de la vie politique, à s'inviter dans
le débat, à commencer par celui de ses amis socialistes. Pour
la première fois depuis sa déroute au premier tour de la présidentielle
de 2002, l'ancien Premier ministre a pris la parole lors d'un meeting à
Toulouse, fin mai.
Cette réapparition de Jospin s'est couplée d'un retour en grâce
du bilan de la gauche plurielle parmi les leaders socialistes. En l'espace de
quelques semaines, Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn ou Pierre Moscovici,
tous anciens ministres de Lionel Jospin, ont multiplié les propos vantant
la politique conduite pendant cinq ans à Matignon, les deux premiers
signant dans Libération des tribunes appuyées. À
défaut de " projet socialiste " avant fin
2005, les socialistes affirment leur préférence
social-libérale.
2004 effacerait-il 2002 ? À n'en pas douter, c'est vrai au PS. Indépendamment
des accointances avec l'ex-Premier ministre et chef de courant que fut Jospin,
tout indique que c'est le cas pour l'ensemble des présidentiables déjà
dans les starting-blocks pour 2007. L'adhésion à la politique
initiée par Zapatero revendiquée par un Hollande ou un Fabius
rappelle que le social-libéralisme domine largement. Et cela n'est pas
une surprise. Personne n'y échappe au PS. Ainsi Vincent Peillon, le chef
de file du Nouveau Parti socialiste, un courant que d'aucuns placent à
la gauche du parti, estime - sans rire - que " Les régionales
ont été gagnées sur une campagne très à gauche ",
le PS ayant " fait du Besancenot " surenchérit-il.
Un comble !
Que les socialistes amnistient Jospin : c'est l'évidence ; c'est une
manière de s'exonérer de leur propre responsabilité, de
nier la sanction des urnes en 2002.
Pour autant, peut-on élargir le constat à la masse de l'électorat,
simplement sur la base des scores enregistrés par le PS aux régionales
et aux européennes, comme nous y invitent bien des observateurs, certains
dans les rangs mêmes de l'extrême gauche ? L'idée d'un
" 21 avril à l'envers " ne résiste
pas à une confrontation avec les données brutes. Mieux, les résultats
du PS, comme de ses alliés Verts et communistes, confirment le décrochage
intervenu avec une fraction significative de celles et de ceux qui votaient
pour la gauche gouvernementale jusqu'en 1997. L'électorat n'est pas gagné
par une amnésie précoce.
Oui, le 13 juin, le Parti socialiste caracolait loin devant l'UMP (16,6 %
des voix et 17 élus). Mais les 12 points d'écart entre PS et UMP,
les près de 29 % réalisés par les socialistes ne peuvent
s'apprécier indépendamment de l'abstention massive. La gauche
gouvernementale a obtenu aux européennes 42,88 % des suffrages et 7 362 741
voix contre 40,31 % et 9 486 362 voix au premier tour des régionales.
Deux millions de voix évaporés. On mesure la déperdition,
et le poids relatif de cette " vague rose " qui,
des régionales aux européennes, aurait tout emporté.
Tenir pour négligeable l'abstention dans l'approche des résultats
est aberrant. 78 % des moins de 34 ans et 75 % des ouvriers ne se
sont pas déplacés le 13 juin.
Le PS bénéficie du rejet de la droite. Le succès du PS
est indéniable, et il ne s'agit pas ici de le nier.
En 2004, aux européennes, le PS rassemble 28,89 % et 4 960 067
voix. En 1999, le PS comptabilisait 21,95 % des suffrages et 3 873 901
voix. Pour mémoire, vingt ans plus tôt, en 1979, la liste conduite
par François Mitterrand obtenait 23,4 % et 4 763 026 voix.
L'abstention n'était évidemment pas là même
comme le score du PCF (20,44 % et 4 153 710) !
Un retour sur les scores socialistes à la présidentielle de 2002
tempère ce bel enthousiasme suscité par la " percée "
socialiste. Le 21 avril, Lionel Jospin, au soir de ce qui reste l'échec
le plus cuisant du PS après les présidentielles de 1969, rassemblait
sur son nom 16,18 % des exprimés, soit 4 610 113 voix.
Un écart de 300 000 voix entre avril 2002 et juin 2004 !
La progression de 4 points entre les scrutins européens de 1999 et de
2004 profite exclusivement aux socialistes. Mieux, l'évolution en voix
du PS s'explique largement par l'effritement des Verts et du PCF : les
premiers recueillent au niveau national 1 271 040 des voix contre
1 715 450 il y a cinq ans ; les seconds obtiennent 900 592
contre 1 196 310 en 1999. 450 000 voix perdues pour les Verts,
300 000 voix pour le PCF.
Avec 571 514 voix, le recul des listes LO-LCR et du PT par rapport à
1999 s'élève à 335 262 (466 725 hors PT). Une
part des électeurs qui avaient soutenu les révolutionnaires ont
certainement porté leur suffrage sur les candidats de la gauche gouvernementale.
Mais le PS n'a pas renoué avec l'électorat populaire et en particulier
ouvrier.
On ne constate pas la vague d'adhésion que les résultats laissaient
imaginer. Le PS n'a pas vampirisé les autres forces de gauche ou d'extrême
gauche. Il doit son succès électoral à l'abstention. Ses
résultats ne traduisent aucune dynamique politique et sociale. Sa campagne
terne comme l'absence de meetings massifs le prouve suffisamment.
Le 21 avril n'est pas effacé, pas plus que le bilan des trois gouvernements
de gauche depuis 1981.
Le succès socialiste exprime moins un mouvement d'adhésion à
sa politique que le rejet massif de celle de la droite. En cela il interroge
d'abord les révolutionnaires sur leurs difficultés à apparaître
comme une alternative crédible à une échelle de masse.
Les urnes ne seront jamais notre terrain de prédilection ; nos réponses
appellent autre chose qu'un bulletin de vote. Néanmoins, nos scores permettent
de mesurer notre influence à un niveau plus large que ce qu'indique la
participation à nos réunions publiques ou nos ventes sur les marchés
ou à la sortie des entreprises par exemple.
On perçoit le chemin encore à parcourir.
Les deux séquences électorales qui s'achèvent ne remettent
pas en cause la nécessité d'une nouvelle représentation
des intérêts ouvriers, d'un parti défendant jusqu'au bout
les acquis des travailleurs. Construire une force nouvelle est plus que jamais
d'actualité. Tout en confirme même l'urgence. Car, sans l'émergence
d'un pôle révolutionnaire, le risque est grand de rééditer
une quatrième expérience gouvernementale de la gauche unie, désarmant
les travailleurs, un énième fiasco pour eux. Les responsabilités
de l'extrême gauche face au cycle de l'alternance qui s'annonce sont loin
d'êtres négligeables. L'assèchement de l'espace politique
à gauche du PS place les Verts et plus encore le PCF dans une zone de
turbulence. Les directions écologiques et communistes sont naturellement
aspirées dans le sillage social-libéral depuis des années.
Leur amaigrissement électoral réduit encore un peu leurs marges
de manuvre face un PS hégémonique, non seulement politiquement
mais aussi en nombre de voix.
S'adresser aux militants désorientés est la tâche devant
nous. Il ne s'agit pas de participer aux mécanos visant à assurer
l'alternance. Le débat s'engage avec la base de la gauche, communiste
en particulier. Renforcer avec elle des liens militants, noués dans les
luttes contre Raffarin et le Medef est le meilleur moyen de préparer
le monde du travail aux résistances aujourd'hui et aux luttes demain
si la gauche gouvernementale revient aux affaires.
Serge
Godard
Non
à la Constitution de l'Europe capitaliste
Pour une assemblée constituante des travailleurs et des peuples
Les 17 et 18 juin
derniers, les Vingt-cinq ont adopté, in extremis, le projet de Constitution.
Les représentants des Etats membres n'ont pas voulu rajouter un nouvel
échec à celui, cuisant, qu'ils venaient pour la plupart d'essuyer
aux élections européennes. Après le fiasco du dernier sommet
de Bruxelles, en décembre 2003, leur crédibilité déjà
bien entamée en aurait pâti encore davantage. C'est pourquoi un
accord a été finalement trouvé, alors que de nouvelles
dissensions étaient apparues, venant en particulier de la Grande-Bretagne,
où le parti d'extrême droite, l'UNIK (Parti indépendant
du Royaume-Uni), a fait 16 % des voix en menant campagne pour la sortie
de l'Union européenne.
A travers leurs dissensions, les représentants des différents
Etats expriment, en général, deux types de préoccupations :
le souci de l'intérêt particulier de leur bourgeoisie nationale
ou d'une fraction d'entre elle, attachée aux privilèges que leur
dispense leur Etat ; le souci de leurs propres intérêts électoraux,
face à une opinion publique qui, si elle est en grande partie favorable
à la coopération entre les peuples, perçoit de plus en
plus clairement que l'Union européenne est un instrument au service d'une
offensive dirigée contre les travailleurs. C'est là qu'il faut
chercher, bien souvent, l'origine des réticences des gouvernements, alors
même que leurs commanditaires, les trusts de la finance et de l'industrie,
se sont résolus, contraints par l'exacerbation de la concurrence inter-impérialiste,
à pousser plus loin la construction européenne, l'unification
d'un marché continental, l'extension de l'euro, la disparition des monopoles
nationaux, l'élargissement géographique dans l'objectif d'asseoir
leur domination sur les pays pauvres de l'est et du sud, la constitution d'un
embryon d'appareil d'Etat (armée, justice, police
).
Depuis les " pères fondateurs " jusqu'à
aujourd'hui, cette construction européenne n'a jamais rien eu à
voir avec les proclamations bien intentionnées (paix, prospérité,
démocratie) de ses dirigeants. Parce qu'elle est dévolue aux intérêts
de la fraction la plus puissante des bourgeoisies des grands pays européens,
elle a toujours été régie par des rapports de forces, sans
pouvoir, pour cette raison même, s'appuyer sur une quelconque légitimité
démocratique.
Une constitution
sur mesure pour une Europe, instrument de l'offensive contre les travailleurs
et les peuples
Avec la Constitution, les dirigeants de l'UE veulent tout à la fois résoudre
un problème de fonctionnement des institutions, et tenter de parer cette
Europe libérale d'un semblant de légitimité en faisant
avaliser les principes du libéralisme qui correspondent aux réalités
de la concurrence sans frein et de la déréglementation des droits
sociaux qu'elle a contribué à accélérer. Les marchandages
entre les Vingt-cinq ont surtout porté sur le premier aspect, sur le
poids respectif des Etats dans les prises de décision, le champ d'extension
de ces décisions
Mises à part quelques décisions
comme celle de se doter d'un " ministre des Affaires étrangères ",
il n'y a guère d'innovations sur le plan institutionnel par rapports
aux traités successifs qu'elle remplace.
C'est dans la partie " Valeurs et objectifs ", ainsi
que dans la Charte des droits fondamentaux, déjà adoptée
à la conférence intergouvernementale de Nice en décembre
2000 et désormais intégrée entièrement à
la Constitution, que sont déclinés les principes de l'Europe libérale :
" libre circulation des biens, des services et des capitaux ",
" un marché unique où la concurrence est libre et
n'est pas faussée ", " une économie
sociale de marché hautement compétitive ", un Etat
dont les fonctions essentielles sont " assurer l'intégrité
territoriale, maintenir l'ordre public, sauvegarder la sécurité
intérieure ". Les " droits fondamentaux "
sont du même ordre, " le droit de travailler "
qui se concrétise par
" la liberté de chercher
un emploi ", un droit à
" l'accès
à une protection sociale "
En bref, cette constitution cherche à faire accepter, comme si elles
découlaient de principes universels et naturels, les conséquences
de la dégradation du rapport de forces entre la bourgeoisie et le monde
du travail depuis 20 ans.
Quant à son architecture institutionnelle, elle est conçue pour
faciliter la soumission des " petits " pays aux poids lourds
de l'Europe et faire de celle-ci une Europe puissance capable de rivaliser avec
ses rivaux impérialistes, en particulier les Etats-Unis.
Pour
que les travailleurs et les peuples puissent décider librement de l'Europe
qu'ils veulent
C'est avec une perspective révolutionnaire et internationaliste, celle
des Etats-Unis socialistes d'Europe, que nous rejetons et combattons cette Constitution,
comme nous l'avons fait avec Lutte ouvrière durant la campagne des européennes.
Dans la plupart des partis de la bourgeoisie se calcule actuellement l'opportunité
d'appeler ou non à la tenue d'un référendum. Il apparaît
assez clairement que les silences ou les prises de positions relèvent
bien plus de rivalités et d'intérêts politiciens, opportunistes,
que d'un quelconque souci démocratique. L'embarras est perceptible chez
Chirac, sommé par plusieurs dirigeants de sa propre majorité,
de Sarkozy à Villepin en passant par Debré, de se prononcer pour
un référendum. Les dirigeants du PS ne sont pas moins embarrassés,
pressés par les courants minoritaires qui se sont prononcés contre
la constitution. Fabius, semble-t-il, a fait le choix, lui, du non, à
l'opposé de la politique qu'il a menée en tant que ministre de
l'Economie de 2000 à 2002. Sans doute cherche-t-il à rallier Nouveau
Monde et le NPS derrière sa candidature pour 2007, tout en sachant qu'il
est peu probable que la constitution soit ratifiée par l'ensemble des
pays membres, comme elle doit l'être pour entrer en vigueur. Sans d'ailleurs
que cela empêche l'Union européenne de fonctionner comme elle le
fera de toute façon pendant un an quoiqu'il arrive.
C'est dire à quel point un référendum, dont l'issue ne
pourrait être que de cautionner, quel que soit son résultat, la
légitimité d'une soi-disant Constitution élaborée
dans le dos des peuples, serait un simulacre de démocratie.
Pour que les populations puissent réellement décider de la forme
politique et institutionnelle de l'Europe, c'est une Assemblée constituante
qu'elles devraient pouvoir élire en choisissant entre plusieurs options
possibles
Les révolutionnaires défendraient, au cours de la bataille politique
pour l'élection de représentants à cette Assemblée
des candidats qui y porteraient la perspective d'Etats-Unis socialistes d'Europe,
d'une Fédération qui constitue le cadre d'une coopération
entre les peuples, sans les contraindre à une union forcée.
La bourgeoisie est incapable d'une telle démocratie et les révolutionnaires,
comme l'ensemble du mouvement social, sont encore trop faibles pour pouvoir
l'imposer. Mais c'est une des questions qui demande à être discutée
et qui devrait figurer dans notre programme, comme une des initiatives qu'un
gouvernement des travailleurs, en rupture avec l'Europe capitaliste, prendrait
pour s'adresser à tous les peuples d'Europe.
Galia
Trépère