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Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°64
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29
avril 2005
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Sommaire : | ||||||||||
De la rue aux urnes : un rendez-vous manqué par l'extrême gauche |
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8 mai 1945 : les massacres de Sétif et de Guelma - Les crimes de la République |
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1905, il y a cent ans Au début du siècle dernier, naissance du nouvel ordre impérialiste | ||||||||||
Lutte pour l'émancipation sociale, mouvement ouvrier et religion |
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L'après-29 mai commence maintenant
Mercredi 27 avril,
les salariés des entrepôts LMC, filiale de Carrefour, se sont mis
en grève illimitée contre la provocation qui leur est faite :
24 euros d'augmentation en moyenne quand l'ex-PDG vient de partir avec 38,8
millions d'euros ! A la SNCM, les salariés, en grève pour
l'emploi et contre des contrats de travail au rabais pour des salariés
étrangers, ont continué jusqu'au 28, malgré le lock-out
et le chantage à la faillite, après avoir affronté les
CRS. Dans ce contexte de montée des luttes, le Premier mai comme la journée
du lundi de Pentecôte, seront l'occasion d'une nouvelle convergence des
mécontentements même si chacun a bien conscience qu'elle se heurte
à la passivité des directions syndicales.
Le mécontentement s'exprime dans la montée du Non qui a déjà
des retombées en Europe, comme aux Pays-Bas où le Non vient de
devenir majoritaire.
Sans préjuger des résultats du 29 mai et de la victoire du Non,
il est clair que quelque chose a d'ores et déjà changé.
Le désaveu des partis de gouvernement, le rejet par les classes populaires
des politiques menées depuis 20 ans par la gauche et par la droite s'expriment.
Et dès à présent, alors que les politiciens de tous bords
spéculent sur l'après-29 mai, se pose et se discute dans les collectifs
comme dans les syndicats ou sur les lieux de travail et les marchés,
la question des perspectives pour le monde du travail.
Le référendum ne doit pas être une voie de garage ou un
dérivatif mais bien l'occasion de nouvelles initiatives.
Désaveu
des partis de gouvernement, la fin de " l'esprit de mai "
" Les frustrations et la cécité à l'origine
du séisme du 21 avril 2002, quand Lionel Jospin avait été
éliminé dès le premier tour de l'élection présidentielle,
sont toujours là, laissant craindre une réplique, le 29 mai, en
cas de victoire du non. La conflagration atteindrait alors tous les partis.
Ou presque
" s'inquiète Le Monde, à
l'instar de toute la presse.
La mise en scène du retour de Jospin, sa posture en statue du commandeur
de carton pâte, donne un contenu concret à l'entreprise. Tous voudraient
faire oublier le 5 mai, le ralliement " républicain "
derrière Chirac jouant sur la peur, voulant occulter le rejet des multiples
épisodes de cohabitation, rejet qui s'est traduit par les 10 % de
l'extrême-gauche. Ce ralliement avait permis à Raffarin de déclarer,
en plein mouvement sur les retraites : " il y a un an, la
France vivait son "mal d'Avril" duquel allait naître "l'esprit
de Mai" [
] Le gouvernement du 6 Mai a reçu sa mission :
travailler aux racines du mal et que la victoire s'efface devant le devoir ! "
gouvernement auquel les sociaux-libéraux ont sauvé la mise, et
qu'ils appellent aujourd'hui à ne pas sanctionner le 29 mai.
Mais la montée sociale, et son expression dans le Non, a tordu le cou
à "l'esprit de mai" et accélère la chute
de ses protagonistes. A droite, Chirac dégringole dans les sondages et
Raffarin parle de lui-même au passé tandis qu'au PS, la fin annoncée
de Hollande réveille les appétits sur le retour. Tandis que Jospin
soigne son come-back, Strauss-Kahn enregistre un DVD aux accents pathétiques
Sans attendre le 29 mai, " la conflagration " a atteint
les partis de gouvernement. Et ceux qui n'ont d'autres arguments que d'agiter
l'épouvantail usé jusqu'à la corde de Le Pen en sont pour
leur frais. C'est bien le mouvement social, démocratique et progressiste,
qui reprend l'offensive et se dégage de l'étouffoir du 5 mai,
de la collusion droite-gauche dont Le Pen avait fait ses choux gras.
Vieille
recette et " nouvelles " alternatives
La rupture que représente le Non exige un nouveau projet politique pour
les classes populaires, un projet qui soit en rupture avec cette politique menée
par la droite et la gauche dans le cadre de la construction de l'Europe des
patrons. Mais une nouvelle fois, on nous ressort... l'union de la gauche.
Emmanuelli explique " nous devons faire la démonstration
que les partisans du Non ont la capacité à construire une alternative ".
Il déclarait il y a quelques jours : " il faut un nouvel
Epinay " pour " recréer les conditions d'une
alternance de gauche crédible ". Le congrès d'Epinay,
en 1971, fut celui au cours duquel Mitterrand "refonda" le PS, alors
éclaté et moribond, prônant la " rupture avec
le capitalisme "
et l'union de la gauche.
Pour Mélenchon, il faut une " nouvelle union des gauches ".
" Il est impossible de passer à côté du fait
que le Oui a été majoritaire au PS. Il faudra composer avec cette
réalité honnêtement mais surtout politiquement ".
Son problème : " ne pas laisser l'impression l'emporter
que les arrangements du passé se remettent en place ".
Quant au PC, qui explique que " si la gauche a échoué,
c'est parce que nous n'avons pas changé la vie des salariés, notamment
des plus modestes ", il veut " ouvrir à notre
peuple, dès 2007, une véritable alternative politique ".
Et Buffet d'expliquer que " si demain on ouvre la porte aux hommes
et aux femmes de gauche qui ont voté oui parce qu'ils pensaient qu'il
n'y avait plus d'espoir, cela fera une majorité ". Le PC
tente de se mettre en pole position, voulant croire qu'il peut s'approprier
les succès des meetings unitaires. Mais si l'aspect radical et dénonciateur
d'une partie de son discours trouve un écho auprès des militants,
la direction n'a d'autre perspective à offrir qu'une énième
mouture d'union de la gauche, la gauche du Oui et la gauche du Non. Elle se
voit déjà au gouvernement. Et Hue, plein de sagesse, appelle à
ne pas " décréter la victoire d'une gauche sur une
autre ".
Préparer
la suite, faire campagne pour la généralisation des luttes
Loin des calculs des anciens ministres qui se redistribuent les cartes, la suite
pour le monde du travail se prépare aujourd'hui, dans les collectifs,
partout où se mène la campagne. Il s'agit de faire de la campagne
pour le Non une campagne pour nos revendications, la généralisation
des luttes, pour imposer un changement radical.
Pour en finir avec ce que nous dénonçons dans ces élections,
le recul des droits sociaux, l'économie de marché, la concurrence
" libre et non faussée ", c'est-à-dire
le capitalisme, pour bâtir une Europe des travailleurs et des peuples,
une rupture profonde est nécessaire. C'est cela qui se discute aujourd'hui
avec tous ceux qui sont pour le Non. Comment renverser réellement le
rapport de forces ?
" Si la gauche bat la droite et revient au pouvoir "
écrit le PC dans l'appel à ses " forums pour un programme
politique vraiment à gauche ", " faisons de
ces forums citoyens le moyen permanent de mettre la politique sous contrôle
des salariés et des citoyens ". Mais que veut dire " mettre
la politique sous contrôle " ? La seule perspective
de gouvernement qui ne soit pas une impasse serait celle d'un gouvernement issu
des luttes, d'une réelle rupture, au cours de laquelle le mouvement populaire
mettrait en place à travers son combat des collectifs, des organes démocratiques
lui permettant d'imposer son contrôle sur les entreprises, l'économie,
contestant son pouvoir et sa propriété à la bourgeoisie.
Ce débat est au cur de la campagne dans laquelle les idées
de la lutte de classe disputent son influence au réformisme new-look.
Nous ne voulons pas que le Non serve à remettre en selle de vieilles
politiques faillies mais ouvre la voie à une nouvelle contestation sociale
et politique.
La
perspective d'une Europe des travailleurs et des peuples
N'en déplaisent à ceux qui voudraient faire passer le Non pour
un Non à l'Europe, l'unité du monde du travail et des peuples
par delà les frontières, la seule garantie que l'Europe avance,
sera renforcée par le Non.
Face aux attaques pour baisser le coût du travail, contre les retraites,
la protection sociale, le temps de travail, une nouvelle conscience européenne
se construit à travers les luttes et les résistances. De Vilvoorde
à Bruxelles, la défense des revendications des salariés
se pose au niveau européen. Et la " proposition "
faite à des salariés d'une PME du Bas-Rhin d'être " reclassés "
dans une entreprise " partenaire " en Roumanie pour
110 euros bruts par mois et 40 heures par semaine, au-delà du caractère
outrancier et provocateur, exprime pour une part la réalité de
la classe ouvrière européenne.
Le référendum par lequel on nous demande de nous prononcer sur
une Constitution faite sur mesure pour le patronat est une mascarade. La seule
démocratie, la seule façon pour que les classes populaires puissent
s'emparer du débat, décider, serait l'élection d'une véritable
Assemblée constituante, au suffrage universel et à la proportionnelle.
Mais si le Non l'emporte le 29 mai, il est probable que cela aura des répercussions
dans les autres pays européens, ce sera un encouragement pour les populations
à s'inviter au débat et dire l'Europe qu'ils veulent : une
Europe de la paix, de la démocratie, de la coopération.
Il ne s'agira pas de " renégocier un nouveau traité "
mais de porter, en rupture avec l'Europe capitaliste, les revendications du
monde du travail par-delà des frontières totalement dépassées,
vers des Etats-Unis socialistes d'Europe.
Carole Lucas
De la rue aux urnes : un rendez-vous manqué par l'extrême gauche
Au soir du 13 juin
2004 des Européennes, où la LCR et LO s'étaient présenté
ensemble, Olivier Besancenot et Arlette Laguiller, dans une déclaration
commune, prenaient acte des résultats en ces termes : " une
partie de notre électorat, ou s'est abstenu, ou a cru plus utile d'exprimer
son désaveu de la droite en votant pour les listes du Parti socialiste.
Ce dernier a pourtant largement montré qu'au pouvoir, sa politique n'est
guère différente, sur le fond, de celle de la droite. Il en fera
de même dans trois ans s'il revient au gouvernement
C'est pourquoi
c'est sur le terrain des luttes sociales que le monde du travail doit se rassembler
pour résister aux attaques du patronat et du gouvernement. Dans ces combats
sociaux, l'extrême gauche aura tout son rôle à jouer ".
Depuis, les résistances sociales ont été au rendez-vous,
bousculant les appareils syndicaux sans pouvoir encore surmonter les obstacles
mis à leur convergence et la jeunesse lycéenne a bousculé
la donne en maintenant sa pression une fois la loi Fillon votée. L'extrême
gauche, elle, n'a pas assumé la continuité politique de sa campagne
des Européennes face au référendum constitutionnel de Chirac-Hollande.
Pourtant, le mouvement social s'est emparé du Non à la Constitution
européenne, après le million de manifestants dans les rues le
10 mars, lui donnant son contenu contestataire de rejet de toutes les politiques
libérales, de droite et de gauche, représentées par le
camp du Oui. Cette démarche se confortant dans les luttes et les résistances
prend racine dans une prise de conscience profonde de la contradiction entre
les intérêts du plus grand nombre et les politiques de ceux qui
ont contribué à mettre en place une société de plus
en plus inégalitaire et l'Europe capitaliste. La question sociale et
la question politique sont en corrélation pour poser les questions d'un
autre partage des richesses et pour un nouvel internationalisme.
Il est clair que dans ce contexte, La LCR et LO qui militent l'une et l'autre
pour le Non avaient l'occasion de prolonger leur campagne unitaire pour renforcer
un Non des travailleurs et des luttes, un Non internationaliste. Il aurait été
possible de faire de cette campagne une bataille unitaire pour enraciner nos
idées au cur du monde du travail et de la jeunesse.
A défaut, nous laissons le PC occuper le terrain pour préparer
son retour aux affaires et tenter de neutraliser l'extrême gauche pour
éviter un score à la Robert Hue aux prochaines Présidentielles.
La politique défendue par la LCR et LO aux dernières Européennes
pour un plan social et démocratique à l'échelle de l'Europe,
pour une Europe des peuples et des travailleurs, aurait bénéficié
d'un écho politique, y compris au sein même des protagonistes du
Non dont bien des militants n'ont pas oublié la politique passée
de Buffet, Mélenchon, Emmanuelli, et autres anciens ministres.
Et surtout, Olivier Besancenot et Arlette Laguiller sont les seuls à
mettre l'accent sur les mobilisations sociales et à ne pas nourrir d'illusion
sur la capacité du Non à changer réellement les choses
du point de vue des classes populaires.
Dans l'éditorial des bulletins d'entreprises du 11 avril intitulé,
" un Non qui va de soi ", Arlette Laguiller écrit :
" tous ces gens-là, du Parti socialiste à la droite,
veulent connaître notre opinion. Disons-la-leur clairement. Votons Non
le 29 mai. "
C'est bien le sens du Non, une sanction contre la politique de la droite et
du PS. Par rapport aux dernières élections où nous appelions
à voter contre la droite sans cautionner la gauche, le 29 mai, voter
Non, c'est voter contre la politique de la droite et du PS, c'est sanctionner
une même politique, c'est rejeter la cohabitation.
Le Non sera un encouragement aux luttes, un affaiblissement de nos adversaires,
si l'extrême gauche est capable de construire de nouvelles perspectives.
Mais au lieu d'associer la campagne pour le Non et la campagne pour une mobilisation
d'ensemble, LO les oppose.
Ainsi, si le 11 avril, au meeting de Clermont-Ferrand, Arlette déclarait :
" Maintenant que le "non" risque de l'emporter, Chirac
et les siens voudraient bien dissocier la Constitution européenne du
mécontentement social. Ils voudraient bien que l'électorat populaire
oublie les coups reçus du gouvernement et qu'ils votent "oui"
en pensant que c'est mieux pour l'Europe [
]. ". Elle ajoutait :
" C'est contre ces véritables ennemis que les travailleurs
auront à lutter, et pas contre Bruxelles ou quelque bouc-émissaire
que ce soit. Ce que nous avons contre nous, ce n'est pas un projet constitutionnel,
un texte dont on peut toujours changer le contenu, mais c'est une classe sociale,
la bourgeoisie, le grand patronat. ".
Faut-il opposer le patronat à sa propre politique ? Ces raisonnements
servent à la direction de LO à justifier son absence dans les
débats larges en cours où il s'agit pour les révolutionnaires
de défendre leur politique. Mais en réalité, c'est bien
la discussion et le débat que semble craindre la direction de LO.
Son sectarisme l'empêche de plonger dans la mêlée, de disputer,
démocratiquement, l'influence au PC sur la base d'une politique affirmée
autour d'un plan social et démocratique ouvrant la perspective d'une
transformation sociale et pour des Etats-Unis socialistes d'Europe.
Quant aux camarades de la Fraction de LO, il n'ont pas choisi de position et
ne donnent aucune consigne de vote. Le référendum est un piège !
Ils regrettent le positionnement de leur organisation qui serait tombé
" dans le piège " du Non. Ils écrivent
dans un article du 27 avril, intitulé " Referendum :
Non
aux confusions, illusions et désillusions ! " : Lutte
ouvrière elle-même a abandonné le point de vue exprimé
encore en 2000 (Constitutions, référendums, plébiscites,
supplément au n°1679 de Lutte Ouvrière) : " C'est
pourquoi, du point de vue des intérêts des travailleurs, toutes
les constitutions bourgeoises sont à combattre. Et toute participation
à un référendum constitutionnel, même par un vote
négatif, revient à légitimer la propriété
bourgeoise. " Notre organisation a certes refusé, à
juste titre, de s'associer à une campagne électorale du Non avec
des partis ou des hommes responsables de la dégradation sociale. Elle
répète " qu'une victoire du non ne changera rien à
l'organisation économique et sociale, au capitalisme, à la course
au profit, à la concurrence qui sont les causes des crises, du chômage
et de la pauvreté ". Mais elle n'en appelle pas moins à
voter contre la constitution européenne, ce qui est qu'on le veuille
ou non, une manière de laisser entendre que l'adoption de celle-ci aggraverait
les choses ou rendrait plus difficiles les combats de la classe ouvrière ".
La majorité de LO reste sur le bord de la route sous prétexte
de ne pas s'afficher avec des ministres de l'ancienne gauche plurielle. Elle
aurait mieux à faire de participer au débat et de venir avec nous
pour discuter et convaincre, exercer sa pression politique, contribuer à
ce que l'ensemble de l'extrême gauche exerce sa pression politique. En
agissant ainsi, elle n'agit pas de façon conforme aux intérêts
généraux du mouvement révolutionnaire.
La minorité, elle, se met complètement à l'écart
du débat et de la bataille, au lieu de prendre, elle aussi, sa place
pour aider à l'émergence d'un pôle révolutionnaire
face à l'axe dont le PC se veut le pivot.
L'extrême gauche n'a pas su rassembler ses forces pour mener la bataille
politique pour le Non ; ensemble, elle aurait pesé sur le camp du
Non en exerçant sa pression pour que les uns et les autres se positionnent
clairement par rapport à sa politique. Encore aurait-il fallu ne pas
craindre les débats, chercher les confrontations politiques, assumer
une pleine indépendance vis-à-vis des partis de gauche en étant
les représentants politiques des luttes du mouvement social sans craindre
de s'afficher ensemble.
Le refus de la direction de LO de venir avec nous mener cette bataille alors
que nous partageons la même position politique est une nouvelle occasion
manquée. Espérons qu'elle n'hypothéquera pas trop l'avenir.
Valérie
Héas
8
mai 1945 : les massacres de Sétif et de Guelma
Les crimes de la Républiquee
Il y aura 60 ans,
le 8 mai prochain, débutait dans le nord constantinois, en Algérie,
une répression d'une ampleur et d'une sauvagerie inouïes contre
le premier mouvement de masse de la population algérienne pour son indépendance.
Durant ces premières opérations de la guerre que la République
française allait mener contre les peuples de son empire colonial pendant
les quinze années suivantes, furent tués et massacrés plusieurs
milliers d'Algériens, de 6 000 à 45 000 selon les estimations.
Deux ans plus tard, la répression du soulèvement de la population
de Madagascar fit, selon des chiffres officiels, 90 000 morts.
Ce sont ces hauts faits, parmi bien d'autres, de son uvre civilisatrice
que voudrait effacer aujourd'hui l'Etat français qui, le 23 février
dernier, a fait promulguer une loi votée par une Assemblée nationale
aux trois quarts vide et qui prétend imposer dans les programmes scolaires
d'histoire, l'enseignement du " rôle positif de la présence
française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ".
Passée dans un premier temps inaperçue du fait de l'absence complète
d'une quelconque opposition au Parlement, cette loi a suscité les protestations
et la mobilisation d'historiens et de chercheurs, de professeurs d'université
et des lycées et collèges.
Cette réhabilitation du colonialisme dont les crimes n'ont été
jamais révélés au grand public autrement que grâce
à l'action de minorités militantes, s'inscrit dans l'offensive
idéologique qui accompagne la marche en avant du libéralisme impérialiste.
Ce dernier veut effacer des mémoires, comme il cherche à le faire
dans les rapports sociaux, tous les acquis obtenus par la lutte pour le progrès
et l'émancipation sociale.
Cette offensive idéologique est de nature -si toutefois telle n'en est
pas l'intention- à alimenter en réponse à son arrogance
une réaction des colonisés face aux colonisateurs, et en conséquence,
le communautarisme. Même lorsqu'elle s'appuie sur des sentiments de révolte
comme le fait l'Appel des indigènes de la république, cette réaction
ne se dégage pas de la démarche de ses propres adversaires en
oubliant les clivages de classe, entre exploiteurs et exploités, pour
leur substituer des clivages fondés sur une identité fondée
sur leur origine géographique ou religieuse.
" Ceux qui tiennent le pouvoir, qui occupent une position dominante
dans la production des images et dans les représentations des discours,
qui décident de ce dont il faut parler tous les jours, tentent constamment
de désamorcer les critiques sociales en mettant l'accent sur ces questions ",
expliquait à juste titre dans un article de L'Humanité, Gérard
Noiriel, un des initiateurs de la pétition " Colonisation :
non à l'enseignement d'une histoire officielle ". " Au
lieu d'appeler un jeune "ouvrier", on l'appelle "black"
ou "musulman". C'est contraire à toutes les traditions et à
toutes les valeurs de la République. Et ce sont des gens qui, par ailleurs,
se réclament de la République qui contribuent à cela ",
concluait-il, comme étonné lui-même de cette contradiction.
A cet égard, un retour sur les événements tragiques du
8 mai 1945 en Algérie et sur la politique à cette époque
des Partis socialiste et communiste permet d'éclairer les raisons de
la confusion actuelle dont n'arrivent pas à se dégager ceux-là
mêmes qui veulent la combattre. C'est en effet au nom des valeurs qui
n'avaient rien à envier à celles de la République que ces
partis, alors au gouvernement, ont assumé la responsabilité de
la répression de la première grande révolte coloniale d'après
guerre.
" L'oeuvre
accomplie par la France dans les anciens départements d'Algérie
"
(loi du 23 février 2005)
Il est
probable que les massacres de Sétif et de Guelma, présentés
par l'histoire officielle de l'époque comme la répression d'émeutes
contre les Européens, ont été en réalité
prémédités par les chefs de l'Etat français pour
écraser et décapiter le mouvement nationaliste, terroriser durablement
la population algérienne.
Les événements survenus pendant la Deuxième guerre mondiale
avaient puissamment contribué à nourrir les sentiments de révolte
contre la puissance coloniale. Tandis que la défaite sans gloire des
armées françaises en 1940, les promesses sur les " droits
des peuples " du gouvernement américain, des Alliés,
et de De Gaulle lui-même, sapaient de fait la légitimité
de la domination française, d'insupportables sacrifices -mobilisation
forcée et vies sacrifiées pour la "France", famine,
misère, épidémies- étaient imposées à
la population algérienne.
C'est dans ce contexte qu'est créé, en mars 1944, le mouvement
des Amis du Manifeste de la Liberté (AML), regroupant toutes les tendances
du mouvement nationaliste. A l'initiative du plus modéré de ses
dirigeants, Ferhat Abbas -qui ne revendique pas l'indépendance-, mais
très rapidement, c'est le PPA, le Parti du Peuple algérien de
Messali Hadj qui y gagne la majorité. Lors du congrès de mars
1945, est adoptée la revendication de l'indépendance, et le mouvement
suscite l'enthousiasme de dizaines de milliers de jeunes.
Le 1er mai, les AML manifestent avec des slogans réclamant la libération
de Messali Hadj qui avait été arrêté en avril à
Brazzaville et " l'indépendance ", des drapeaux algériens
sont déployés. A Alger, quatre manifestants sont tués par
la police ou des colons, 32 sont arrêtés et la même répression
sévit dans d'autres villes, mais elle n'arrête pas la détermination
du mouvement.
Le 8 mai, de nouvelles manifestations pacifiques sont décidées.
A Sétif, dans la matinée, c'est la police qui voulant imposer
l'interdiction du drapeau algérien, agresse les manifestants au nombre
de 7 à 8000, déclenchant les affrontements au cours de laquelle
sont tués des Européens. Le soir, la loi martiale est décrétée,
des milices de colons sont formées et armées, qui commencent la
" chasse à l'Arabe ", tandis que patrouillent et
tirent à vue des troupes de militaires. On voyait " des
cadavres partout dans toutes les rues, la répression était aveugle ;
c'était un grand massacre ", dira l'écrivain Kateb
Yacine encore enfant au moment des événements. Le lendemain, la
nouvelle de la répression suscite la révolte des villageois des
environs. L'armée réagit alors en employant les moyens d'une véritable
guerre.
A Guelma, c'est le sinistre sous-préfet Achiary qui veut interdire toute
manifestation, répercutant un ordre de De Gaulle. Bravant l'interdiction,
un cortège de 2000 personnes s'est malgré tout formé. La
police tire et tue un manifestant, des affrontements éclatent mais la
manifestation se disperse finalement. Dans la soirée, les arrestations
commencent, des milices de colons, encouragées par les autorités,
se livrent à des centaines d'exécutions sommaires.
Dans toute la région, l'armée intervient massivement, avec 40 000
hommes. Bombardements de l'aviation et sur les côtes, de la marine, ratissages,
arrestations, exécutions durent pendant plusieurs jours, le nombre des
victimes fut à coup sûr de plusieurs milliers, de 6 000 à
45 000 selon les estimations.
La répression, comme l'ont depuis montré nombre de témoignages,
s'accompagna d'exactions et d'actes d'une cruauté inouïe, dont la
gratuité ne peut s'expliquer que par un racisme érigé en
théorie officielle, le mépris entretenu par la bourgeoisie coloniale
envers des populations qu'elle exploitait férocement après les
avoir spoliées de tout moyen de vivre.
" Punir
comme ils le méritent, les tueurs hitlérien " (Journal
l'Humanité du 19 mai 1945)
La violence
de la répression a coupé cours au développement du premier
-dans cette période- mouvement de masse contre la domination coloniale
française en Algérie. Tel était l'objectif du gouvernement
dirigé par De Gaulle auquel participaient des ministres socialistes -dont
le parti fut ensuite de toutes les guerres coloniales- et communistes. C'est
un ministre du PC, Tillon, qui était alors ministre de l'Aviation. Oui,
mais il n'était pas au courant, diront plus tard les dirigeants de ce
parti. Voire, il n'en est pas moins resté à son poste, comme les
autres ministres du PC, jusqu'en 1947, alors qu'avait commencé la guerre
contre le peuple indochinois.
En fait, le PC assuma même la répression, et sa presse reprit sans
sourciller les calomnies lancées par l'administration coloniale contre
les manifestants.
Dans une brochure qu'il écrivit en 1959, le PCF et la question algérienne,
Jean-Pierre Vernant, alors lui-même au PC et soutenant, à la différence
de son parti, la revendication de l'indépendance de l'Algérie,
rappelait les prises de position de L'Humanité au moment des massacres
de mai 1945. Voici des extraits de cette brochure :
" Le 12 mai, L'Humanité annonce des troubles en Algérie,
spécialement à Sétif ; elle signale " le
rôle de quelques éléments provocateurs au sein de la population
algérienne [
] ; la population affamée a été
poussée à des violences par des provocateurs bien connus de l'administration. ".
Le 13, un communiqué du gouverneur général de l'Algérie
met en cause " des éléments d'inspiration et de méthodes
hitlériennes ". Regrettant que toute la responsabilité
soit rejetée sur les musulmans, l'organe central du PC commente :
" Qu'il y ait, parmi eux, quelques hitlériens, c'est d'autant
plus évident que le chef pseudo-nationaliste Bourguiba était en
Allemagne au moment de la capitulation hitlérienne et vient d'arriver
dans un pays d'Afrique du Nord. ".
[
] Le 19 mai, L'Humanité prend la défense des musulmans,
du moins de ceux des campagnes, en ces termes : " Les musulmans
des campagnes [...] n'ont pas pris la moindre part aux agissements d'une poignée
de tueurs à gages dont les chefs sont connus comme mouchards. ".
Et elle indique la solution : " Ce qu'il faut, c'est punir
comme ils le méritent les tueurs hitlériens ayant participé
aux événements du 8 mai et les chefs pseudo-nationalistes qui
ont sciemment essayé de tromper les masses musulmanes, faisant ainsi
le jeu des 100 seigneurs dans leur tentative de rupture entre les populations
algériennes et le peuple de France. ".
Depuis 1935, depuis le pacte conclu par Staline avec Laval, les dirigeants du
Parti communiste avaient tourné le dos à l'internationalisme,
se ralliant, en même temps qu'à la défense nationale, à
la défense des intérêts de la bourgeoisie. En 1945, c'est
au nom de la lutte contre le nazisme qu'ils justifient la répression
et participent à la défense de l'empire colonial dont De Gaulle
veut tirer parti pour défendre les intérêts de la bourgeoisie
française dans la concurrence impérialiste.
Aider
le mouvement ouvrier à retrouver son indépendance de classe
Lors de l'examen
en première lecture à l'Assemblée nationale, le 11 juin
2004, du projet de loi " portant reconnaissance de la nation et
contribution nationale en faveur des Français rapatriés ",
qui réhabilite la colonisation, il y avait, sur le très petit
nombre de députés présents (24 !), un député
du PC et trois députés du PS. Le ministre délégué
aux Anciens combattants, Hamlaoui Mekachéra, officier de l'armée
française en Algérie de 1958 jusqu'à 1962, présenta
ainsi le projet de loi : " Le Gouvernement propose aujourd'hui
de rendre justice à la beauté et à la grandeur de ce que
nos compatriotes ont bâti hors de métropole, mais aussi à
tant de souffrances et d'épreuves, à tant de fidélité
à la patrie et à la République. Tel est le sens de l'article
premier de notre projet. Souvent caricaturée, parfois calomniée,
l'oeuvre des Français doit être source de fierté pour la
Nation : ce que nous avons construit avec passion et courage doit être
désormais reconnu, tout comme les conditions dramatiques de séparation
avec des territoires tant aimés et tant servis. [...] ".
François Liberti, pour le PC, n'est intervenu que pour s'inquiéter
du montant des réparations et indemnisations pour les rapatriés
d'Algérie et les harkis. Ainsi, sur les rapatriés et comme conclusion
de son intervention : " la cause de l'indemnisation des rapatriés
est une cause juste, en droit comme en équité. Ils sont victimes
depuis quarante-deux ans d'un véritable déni de justice. La réponse
qui leur est apportée dans ce projet est loin d'être suffisante.
[...] De l'attitude du Gouvernement dépendra notre vote. ".
Pas un mot sur le fond même de la loi, contre la réhabilitation
de la colonisation.
Cette attitude, adoptée à la faveur du peu de publicité
fait à la loi, ressort certainement de la seule défense d'une
clientèle électorale, l'épisode n'en est pas moins significatif
de l'abdication de toute indépendance, quant au fond, à l'égard
de la politique de la bourgeoisie.
Pour combattre les divisions qui le menacent du fait du développement
du communautarisme, pour reprendre l'offensive, le mouvement ouvrier a à
s'émanciper de toutes les valeurs et préjugés qui ont partie
liée, sous quelque forme que ce soit, avec les intérêts
de la bourgeoisie.
Galia
Trépère
1905,
il y a cent ans
Au début du siècle dernier, naissance du nouvel ordre impérialiste
Parmi les nombreuses
célébrations qui ont lieu pour l'anniversaire de l'année
1905, plusieurs événements ne seront pas mis en avant alors qu'ils
sont pourtant très significatifs des contradictions explosives qui se
sont développées avec la naissance du nouvel ordre impérialiste.
A travers ces évènements, se réfractent les profondes transformations
sociales et politiques que le développement capitaliste a entraîné.
Ils témoignent des évolutions du rapport de forces entre grandes
puissances en concurrence, entre les vieilles puissances européennes
mais aussi entre elles et de nouvelles puissances en plein essor comme les Etats-Unis
et le Japon.
Ils sont les signes avant-coureurs de la période de guerres et de révolutions
qui va s'ouvrir moins de dix ans plus tard, mettant un terme aux illusions suscitées
par cette période de développement et de mondialisation du capitalisme.
Au début du siècle, la naissance de l'impérialisme, c'est
le thème qu'abordera cet article dans le cadre de la série d'articles
que Débat militant consacrera à l'année 1905. Nos lecteurs
et camarades le retrouveront sur notre site. Accéder
à l'article complet.
C.
Meno
Lutte pour l'émancipation sociale, mouvement ouvrier et religion
La question des
rapports entre les luttes pour l'émancipation sociale et la religion
prend une acuité toute nouvelle en conséquence du recul des luttes
des classes et des peuples opprimés face à l'offensive réactionnaire
des classes dominantes. C'est au nom de la guerre " du bien contre le mal
" que Georges Bush a engagé la première puissance mondiale
dans une guerre sans limite pour maintenir sa domination dans le même
temps qu'il cherche à s'allier avec les forces religieuses et réactionnaires
dans le monde pour maintenir l'ordre. Le libéralisme impérialiste
organisant la danse de sabbat des marchandises à l'échelle mondiale,
sans frein ni retenue, essaye de se donner une légitimité en réveillant
la réaction religieuse à laquelle il fournit dans le même
temps sa matière première : le désespoir, la misère,
l'ignorance, le recul des repères démocratiques, progressistes.
A l'échelle de la planète, les religions cherchent à capter
en leur faveur et en celui de l'ordre dominant le désarroi des peuples
entraînés, bousculés, blessés, étourdis par
l'offensive libérale.
La célébration de la mort de Jean Paul II a illustré cette
mondialisation de la religion, compagne de la mondialisation libérale
et impérialiste comme la vertu est la compagne du vice. L'élection
de Benoît XVI pour lui succéder s'inscrit dans cette offensive
religieuse réactionnaire.
Jean-Paul II fut le pape de l'effondrement de l'URSS et de la fin de la guerre
froide, Benoît XVI se pose en pape de l'offensive libérale et impérialiste.
Cette mondialisation ne va pas sans attiser la concurrence entre les différentes
religions labellisées monothéistes voire avec l'émergence
de sectes concurrentes, évangélistes ou autres, stimulées
par la demande en particulier aux Etats-Unis. Le new age associe le messianisme
de l'économie de marché au messianisme religieux.
C'est dans ce contexte que s'explique le développement de l'islamisme
politique dont le porte-parole le plus médiatique est Tariq Ramadan.
Il exprime un double besoin : celui de la bourgeoisie et de son Etat d'associer
les nouveaux imans à l'embrigadement des masses et celui de ces derniers
de trouver leur place dans le cadre de la république.
Ces interdépendances entre différents intérêts sociaux
et politiques apparemment contradictoires créent beaucoup de confusion.
Le mouvement démocratique et révolutionnaire a à saisir
l'importance du débat pour apporter ses propres réponses. L'enjeu
est d'importance : comment uvrer à l'unité des travailleurs
par delà les différences d'origine, la diversité culturelle,
l'influence des préjugés distillés par les classes dominantes,
les ravages du colonialisme et de l'impérialisme ? Comment uvrer
à une prise de conscience commune en surmontant les préjugés
nationaux et religieux, de quelque nature et origine qu'ils soient ? Comment
saper les bases de l'influence religieuse, des communautarismes ?
Cet article voudrait apporter des éléments de réponses
à ces questions. Nos lecteurs et camarades pourront en continuer la lecture
sur notre site. Accéder à l'article
complet.
Yvan
Lemaitre